Les logiques non marchandes, un « archaïsme » à revisiter

Introduction

Pierre-Marie Bosc

À l’échelle mondiale et historiquement, le fait de produire pour sa consommation a été un des traits distinctifs des économies agricoles et notamment des « paysans ». Le passage à une économie marchande s’est fait progressivement (Aymard, 1983), la production destinée aux marchés n’occupant pas la plupart du temps une place centrale, la logique prédominante étant celle de la vente de « surplus » (la part de la production au-delà des besoins de la famille). Alors que certaines prospectives envisagent le futur de l’agriculture comme une activité devant fournir des « matières premières aux industries agroalimentaires » (Pellerin et al., 2013), cette caractéristique des économies agricoles reste prégnante dans les sociétés rurales contemporaines comme le montrent les études rassemblées dans cette partie.

Les logiques de production agricole non marchande répondent à des objectifs d’alimentation de la famille, de troc, de gestion de la parenté ou des réseaux sociaux ; elles se substituent ou sont complémentaires des productions générant des revenus monétaires. Elles renvoient à l’autoconsommation ou à l’autofourniture d’aliments ou d’autres produits pour la consommation familiale, aux pratiques du don et du contre-don, ainsi qu’aux échanges non marchands. Parmi les représentations des transformations de l’agriculture, l’image qui prévaut est celle d’agriculteurs qui passeraient d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale, cette image étant perçue de manière positive, c’est-à-dire moderne. La production pour la subsistance serait une version dévalorisée d’une agriculture qui aurait « réussi », c’est-à-dire efficace et utile pour la société, car capable de se moderniser en produisant pour le marché. Or, bien souvent, des espèces dites « secondaires » font partie de ces productions destinées à la consommation familiale concourant à un entretien gratuit in situ d’une biodiversité utile à l’homme, ayant parfois une plus forte valeur nutritionnelle et à la base de pratiques alimentaires spécifiques, composante de la diversité culturelle du monde. Dans cet ouvrage, la production pour l’alimentation de la famille est centrale, au-delà des seuls cas rassemblés dans cette partie. Au Mozambique, la production pour la famille restée sur le territoire est associée au fait migratoire ; en Nouvelle Calédonie, l’agriculture en tribu joue un rôle clé dans la structuration de systèmes d’activité complexes. Les productions de subsistance seraient-elles un archaïsme voué à disparaître à mesure que l’emprise du marché s’étend ? Ou doit-on, plutôt, les considérer comme autant de filets de sécurité qui concourraient à la stabilité sociale, au développement économique et à l’amélioration de l’alimentation et de la nutrition des familles et qui iraient de pair avec le développement de l’économie marchande ?

Les quatre études de cas de cette partie sont significatives sinon représentatives d’une diversité de situations agraires où l’on ne s’attendrait pas forcément à une prégnance aussi forte de l’autoconsommation. C’est notamment le cas de la Pologne qui illustre, au-delà de la situation de la Poldasie, la situation de nombreux pays européens au sein desquels l’agriculture est un secteur « refuge » face à la crise économique structurelle, soit qu’il s’agisse des « nouveaux entrants » dans l’Union européenne, de pays en forte crise (Grèce et autres pays du sud de l’Europe) ou encore de pays ayant bénéficié de la PAC, mais marqués par l’émergence de la précarité sociale et économique en zone rurale. Au Mali, le développement du coton est généralement présenté comme un succès en matière d’intégration marchande, mais on observe au niveau des exploitations agricoles le maintien d’une production vivrière – notamment céréalière – significative, destinée à l’alimentation de la famille et aux échanges de proximité et qui constitue une part importante du revenu total. En Egypte, c’est l’alimentation de la famille qui est l’objectif primordial des éleveurs malgré leur proximité avec le grand marché alimentaire que constitue la mégapole du Caire : « L’activité agricole est d’abord orientée vers l’autoconsommation du ménage qui peut aussi inclure une couverture partielle des besoins de la famille élargie. Les surplus sont vendus, souvent sans être transformés (…) offrant des prix de vente avantageux. »

Même si les informations produites ne sont pas homogènes entre les situations décrites, elles apportent un éclairage intéressant, notamment sur la valeur de la production non marchande, les populations concernées, la coexistence entre productions marchande et non marchande, ou encore sur la complémentarité entre la mobilité des personnes et le maintien d’une production locale destinée aux besoins familiaux.

La mise en regard de ces études de cas permet de dégager quelques enseignements.

Contrairement aux idées reçues, la valeur de la production non marchande s’avère quantifiable. Loin d’être négligeable, elle joue un rôle stratégique dans l’économie des ménages. Les données empiriques des cas étudiés attestent de l’importance de cette production pour la consommation familiale et les échanges non monétaires. Bien qu’il ne soit pas possible de généraliser à partir de ces études de cas, on peut relever que, dans le cas du Bénin, cette valeur est deux fois plus importante que celle des productions vendues ; en Égypte, elle dépasse le niveau de salaire d’un emploi non qualifié et au Mali la presque totalité (97 %) des exploitations commercialise moins de 75 % de leurs productions agricoles annuelles, 14 % ne commercialisent rien.

La population concernée par l’autoconsommation est très nombreuse, même si sa proportion vis-à-vis de la population totale peut s’avérer variable d’une région à l’autre. L’exemple de la Pologne permet de mesurer l’ampleur d’un phénomène que confirment d’autres études de cas : « 235 000 exploitations familiales déclarées (dont 200 000 partiellement ou totalement écartées du marché) feraient vivre directement ou indirectement plus de 550 000 personnes, soit 49 % de la population régionale. »

Dans la plupart des cas, le développement des marchés ne fait pas disparaître la production de subsistance. On observe au Bénin, en Égypte ou au Mali un développement concomitant du marché et des productions destinées à la consommation de la famille. En aucun cas la totalité de la production est mise sur le marché, la proportion est plutôt en faveur de la production pour la famille. Les familles agricoles sont pleinement insérées dans une économie marchande et monétarisée ; cependant, elles font de la production domestique une priorité dans l’affectation des capitaux dont elles disposent.

Les agricultures familiales décrites dans cet ouvrage combinent la mobilité des personnes avec le maintien d’une production locale pour la famille, dans des proportions variables selon les contextes. Ce constat bat en brèche l’image d’agricultures autarciques ou repliées sur elles-mêmes. En Pologne, comme au Mozambique à Lenzoane, les familles vivent dans des « mondes ouverts au marché » depuis longtemps et c’est davantage par le travail que par les produits agricoles que se concrétise la relation au marché. Cette ouverture sur l’extérieur par le travail et la migration est souvent la principale source financière des investissements dans l’agriculture : « En Poldasie, le capital financier de près d’une exploitation “non marchande” sur cinq dépendait en grande partie de l’émigration d’au moins un de ses membres et donc de dotations en capital humain. »

Si les cas rassemblés dans cet ouvrage permettent de mettre l’accent sur ces dimensions de la production agricole, constat est fait que, souvent, les productions non marchandes sont invisibles dans les statistiques. Nombreux sont les recensements et les enquêtes agricoles qui s’intéressent aux surfaces mises en valeur ou aux produits animaux, mais sans préciser la destination de la production. L’invisibilité de certaines agricultures s’accompagne aussi de l’invisibilité de certaines des fonctions de l’agriculture, même si celles-ci représentent un phénomène significatif, voire massif, et constituent un incontournable filet de sécurité pour beaucoup de familles dans des contextes d’insécurité alimentaire et de crise économique. Il conviendrait de mieux documenter ces dynamiques qui se développent en dehors des marchés et des systèmes statistiques afin d’en saisir toute la logique et déceler des voies et moyens d’en améliorer les performances quantitativement et qualitativement.

L’agriculture familiale de Podlasie polonaise : anachronisme ou potentiel ignoré ?

Pascal Chevalier

Par rapport aux pays voisins, la Pologne fait figure d’exception dans une Europe centrale bousculée par le changement brutal du système politique et économique après 1989 (Bazin et Bourdeau-Lepage, 2011). Contrairement à la quasi-totalité des anciens pays socialistes – qui ont connu un important processus de collectivisation des terres et de l’outil de production – la Pologne, par son histoire agraire, a bousculé le dessein d’un régime politique pourtant acquis à la collectivisation. Composée historiquement d’une petite paysannerie profondément hostile à l’idéologie communiste, elle n’a pu mettre en œuvre que très partiellement sa politique de collectivisation.

À la veille de l’éclatement du système politique communiste de 1989, l’importance relative du secteur étatique (18,5 % de la superficie agricole utile (SAU) et 22 % de l’emploi agricole) et du secteur coopératif (3,7 % de la superficie agricole utile et 6 % de l’emploi agricole) reste finalement mineure par rapport à un secteur agricole privé qui a largement survécu aux politiques de collectivisation (Bański, 2006). Composé majoritairement de petites exploitations familiales de taille très modeste et fortement « chargées » en actifs, il détient alors plus de 76,2 % de la SAU et représente plus de 70 % des actifs agricoles du pays. Ainsi, la Pologne a pu faire l’économie d’une décollectivisation de grande ampleur (Halamska, 1994).

À l’ancienne opposition entre secteur socialisé (fermes d’État et coopératives) et agriculture individuelle s’est alors progressivement substitué le clivage entre une agriculture de type sociétaire capitalisée, en partie héritière des grandes exploitations collectives, et une agriculture de statut familial. Alors que la première, qui représente à peine aujourd’hui 8 % de la SAU totale du pays, est formée majoritairement de grandes exploitations (plus de 500 ha en moyenne) faiblement « chargées » en actifs agricoles (moins de 2 % ha de SAU ; Halamska et Maurel, 1996), la structure de la seconde est plus hétérogène. On y côtoie aussi bien de grandes structures familiales, orientées vers des systèmes de productions intensifs et spécialisés, que des petites unités tournées vers l’élevage extensif et la polyculture. Si les premières ont largement bénéficié du soutien de la politique agricole commune (PAC) et se sont accomplies dans le cadre du marché, les secondes s’en sont progressivement écartées et se sont repliées vers une production vivrière (Maurel et al., 2003). C’est de cette forme d’agriculture qu’il est question dans ce chapitre. Particulièrement présente dans les franges nord-orientales du pays et notamment en Podlasie prise comme exemple dans ce chapitre, elle y côtoie des grandes exploitations familiales modernisées. Mais finalement, que sait-on d’elle si ce n’est qu’elle constitue un anachronisme dans une Europe centrale agricole en quête de nouveaux marchés économiques ? Comment expliquer la survivance de sa frange la plus fragile dans un pays où les politiques structurelles avaient justement pour objectif de la faire disparaître au bénéfice d’une agriculture marchande portée par les sociétés agro-industrielles ou les grandes exploitations familiales (Halamska, 1995) ? Est-elle le résultat de l’échec des transformations structurelles du monde rural ou celui de la crise économique reversant les populations sans emploi vers une activité agricole de repli ? Est-ce au contraire le résultat de stratégies familiales d’adaptation aux contextes socio-économiques contemporains (pluriactivité, double activité, etc.) ?

Définir la petite agriculture semi-vivrière en Podlasie

Définir l’agriculture familiale en Pologne, et de surcroît celle écartée du marché, n’est pas chose aisée. En effet, les statistiques ignorent en grande partie cette frange des exploitations. Officiellement, si l’État polonais reconnaît comme agriculteur celui qui exploite au moins 1 ha, tous ceux qui s’inscrivent dans une logique d’autoconsommation ne cotisent pas nécessairement au fond de sécurité sociale agricole et, de fait, n’ont légalement aucun statut professionnel. De plus, qui travaille sur ces exploitations ? Les membres de la famille du chef de l’exploitation, ses enfants, ses parents ? Là non plus, les données issues des recensements de population ne permettent pas de juger de la réalité de l’emploi mais simplement d’évaluer la population familiale agricole, c’est-à-dire vivant sur les exploitations selon qu’elle participe à l’activité productive ou qu’elle exerce une activité en dehors de l’exploitation, ou qu’elle associe les deux formes d’activité.

La petite agriculture semi-vivrière de Podlasie

L’image de la paysannerie polonaise, nombreuse et figée dans son archaïsme, fait toujours figure de stéréotype en Europe. Avec près de 13 millions d’habitants, les campagnes polonaises restent les plus densément peuplées des pays de l’Union européenne. Alors que 4 millions d’actifs y travaillent toujours dans le secteur agricole, la superficie moyenne des exploitations familiales dépasse à peine 8 ha. Elle est parfois inférieure à 3 ha comme dans l’est du pays (figure 1.1).

Figure 1.1. Taille moyenne des exploitations familiales en 2012. Sources : Offices statistiques nationaux ; PC/ART-DEV-FRE3027 ; CNRS/2010.

Le recensement de 2012 comptabilise 1 951 000 exploitations familiales (soit 89 % des structures agricoles du pays) et un peu moins de 150 000 entreprises sociétaires. En Podlasie, ce rapport entre agriculture familiale et agriculture sociétaire est encore plus favorable à la première catégorie qui représente plus de 95 % des unités d’exploitation. Cette situation régionale révèle la persistance d’une lourde masse paysanne qui représente encore aujourd’hui plus de 45 % des actifs ruraux totaux. Si, comme ailleurs en Pologne, les réformes mises en œuvre dans le cadre des programmes de préadhésion à l’Union européenne (Special accession program for agriculture and rural development, Sapard[7] ; Pologne-Hongrie aide à la reconstruction économique, Phare[8]) et la PAC devaient aboutir à terme à une concentration structurelle des exploitations et une « normalisation » sur le modèle ouest-européen, les données statistiques témoignent d’un maintien, voire d’un alourdissement de la charge de bras participant à l’agriculture familiale (Bazin, 2007). Ainsi, même 20 ans après le changement de système politique, la décrue paysanne tant espérée par les politiques publiques semble toujours se faire attendre en Podlasie.

Mais s’il est une problématique qui s’est accentuée depuis une dizaine d’années, c’est bien le renforcement du clivage entre les deux types d’agriculture familiale : celle qui a pu et su se moderniser et s’intégrer au marché via les exigences imposées par la PAC et celle qui s’est repliée vers la satisfaction des besoins de consommation des familles. C’est peut-être là la plus grosse césure qui ne s’est pas refermée, et même qui s’est accentuée depuis le changement de système. Le dernier recensement estime que plus de 45 % des exploitations familiales polonaises sont aujourd’hui effectivement écartées du marché (partiellement ou totalement), soit 8 % de plus qu’il y a 5 ans et 19 % de plus qu’il y a 20 ans.

Comme dans une large frange orientale de la Pologne, c’est en Podlasie que ce taux d’unités retirées du marché est le plus important du pays. Il y dépasse 70 % des exploitations familiales (figure 1.2). C’est d’ailleurs dans cette région relativement pauvre de la Pologne (Gorzelak, 1998) que la petite agriculture de semi-subsistance forme le plus gros des bataillons de l’agriculture familiale nationale. De taille très modeste, ces exploitations ne dépassent pas 1 ha. Aux confins orientaux du pays, elles sont en partie les héritières directes d’une petite paysannerie qui a survécu au communisme, mais qui s’est, durant toute cette période, éloignée de tout processus de modernisation. Elles seraient environ 188 000 (sur les 235 000 exploitations que compte officiellement la région), mais, compte tenu très souvent de leur caractère « informel », ces chiffres semblent minorer une situation particulièrement dramatique.

Figure 1.2. Part des exploitations familiales non marchandes par rapport à l’ensemble des exploitations familiales. Sources : Offices statistiques nationaux ; PC/ART-DEV-FRE3027 ; CNRS/2010.

En matière d’emprise foncière, elles utiliseraient plus de 70 % de la SAU totale de la région, contre seulement 25 % pour les exploitations familiales « marchandes » et 15 % pour les grandes exploitations sociétaires capitalisées. Paradoxalement, leur part dans la SAU régionale, qui poursuit lentement sa décroissance dans une grande partie occidentale du pays (là où la collectivisation plus massive avait en partie fait disparaître les petites unités privées), se maintient à un taux élevé. Elle a même légèrement augmenté depuis 2004 (+0,8 % par an), alors que les réformes mises en œuvre par le gouvernement polonais (incitation à la vente des terres et à la concentration foncière, au départ à la retraite anticipée des chefs d’exploitation à partir de 55 ans) et les incitations de la PAC tentent justement de l’endiguer (Darrot et al., 2009). Cette dynamique structurelle, empêchant le processus d’élargissement foncier des autres exploitations potentiellement économiquement rentables, est d’ailleurs l’un des facteurs de la situation de blocage dans laquelle s’est enferrée l’agriculture polonaise.

Les causes du maintien de l’agriculture semi-vivrière en Podlasie

Pour comprendre le maintien (voire le renforcement) de la petite agriculture semi-vivrière en Podlasie polonaise, il faut prêter une attention particulière aux différents temps forts des changements qui se sont opérés dans un passé plus ou moins lointain. Contrairement aux autres pays communistes, la Pologne, et de surcroît cette région peuplée d’une toute petite paysannerie depuis le milieu du xixe siècle, a suivi une autre voie de modernisation de son agriculture dans le cadre du système collectiviste. Restés majoritairement propriétaires de leurs terres et de leurs moyens de production, ces paysans avaient dû accepter l’intégration d’un mode semi-dirigiste à l’économie administrée. La mise sous tutelle de leurs exploitations a eu pour effet de déformer leurs logiques productives en les contraignant à se reproduire à l’identique. De manière très subtile, le fonctionnement « symbiotique » (Maurel et al., 2003) entre une agriculture collectivisée, difficilement mise en place dans cette région hostile au pouvoir communiste, et cette petite agriculture familiale traditionnelle, moins chahutée qu’ailleurs en Europe centrale par le pouvoir en place, a conduit vers une forme de dépaysannisation progressive et lente. La perte du sens du risque inhérent au marché en a été l’un des signes les plus marquants. Paradoxalement, ces exploitations individuelles ont été protégées par l’économie planifiée qui, à l’inverse des pays occidentaux, leur a évité l’impitoyable sélection par les forces du marché. Revêtant essentiellement une fonction sociale, elles ont surtout permis d’atténuer les crises alimentaires successives liées aux imperfections du système planifié de production. Elles ont également permis à des milliers de ruraux exclus des combinats industriels et des grandes exploitations collectives de satisfaire leurs besoins alimentaires de base. Mais s’ils sont parvenus à déjouer le projet collectiviste, les petits producteurs privés ont dû payer le prix fort, celui d’une modernisation bloquée pendant près de 50 ans. Cette situation de blocage a fortement pesé, d’une certaine manière, sur le devenir de ces agricultures familiales archaïques et sur leur faible capacité de transformation au cours des décennies 1990 et 2000.

Dès le changement de régime politique, le poids « historique » de cette agriculture semi-vivrière va être renforcé par le démantèlement des grandes exploitations collectivistes (fortement bousculées par la libéralisation des marchés). Celles-ci, qui géraient également la plupart des autres activités rurales (services à la population, commerces) sont alors marquées par une faible productivité du travail et de maigres rendements dans une région à la rente naturelle médiocre. Pourvoyeuses d’un nombre d’emplois salariés resté très élevé malgré les efforts d’industrialisation de l’économie régionale, elles mettent en œuvre, dès 1990, d’importantes réformes structurelles qui visent à réduire drastiquement leur potentiel humain. Procédant à un « délestage » de leur main-d’œuvre et, en l’absence d’autres activités rurales susceptibles de prendre le relais, elles commencent à alimenter le chômage rural avec pour corollaire la précarité des personnes les moins aptes à la conversion. Malgré ces importantes réformes, imposées par la libéralisation des marchés, plus de 85 % d’entre elles ne survivront pas et devront céder leur principal outil de production, leur capital foncier. L’appropriation individuelle des terres qui s’ensuit, favorisée par les politiques de redistribution foncière, impulse alors une tendance à la déconcentration du mode d’exploitation des terres. La restitution des terres aux anciens propriétaires, souvent devenus des citadins sans liens directs avec l’agriculture, mais plus encore la redistribution aux anciens ouvriers agricoles et plus largement aux ruraux, va dès lors accélérer le démembrement des quelques exploitations collectives régionales. Par la suite, l’insécurité économique du pays poussant une grande partie de ces nouveaux propriétaires à s’installer sur la part foncière leur ayant été attribuée plutôt que de la louer aux exploitations familiales déjà en place, consolide très rapidement et durablement le repli sur le lopin individuel et le renforcement de l’agriculture semi-vivrière.

À ce chômage d’origine agricole qui favorise le repli vers l’agriculture semi-vivrière vient s’ajouter celui d’origine industrielle. Durant la période socialiste, les actions des gouvernements successifs en faveur du développement industriel des campagnes de Podlasie se sont traduites par une dynamique de petites unités de production de sous-traitance de grands combinats urbains. Très souvent localisées au cœur même des coopératives agricoles qui utilisaient le surplus de main-d’œuvre rurale, l’emploi y était peu qualifié et surtout bon marché. Après le changement de système, ce sont ces petites unités de production, devenues marginales pour les grands groupes industriels nationaux ou internationaux, qui sont les premières affectées par la restructuration du secteur industriel. Une très large majorité d’entre elles disparaissent simplement, laissant sur place une population ouvrière sans emploi, très vite rejointe, dans la précarité, par d’anciens « migrants alternants », des salariés d’origine rurale, licenciés des entreprises urbaines en difficulté mais ayant gardé une domiciliation dans les campagnes périphériques des villes. Sans emploi, ils se replient alors eux aussi dans leurs villages d’origine (sur leur « part foncière ») vers l’agriculture de subsistance, seul palliatif à la précarisation.

De faibles capitaux mobilisés par une agriculture « marginalisée »

La Podlasie compte un peu plus de trois ruraux pour un urbain. Ce rapport, un des plus élevés en Europe (avec la partie orientale de la Roumanie), est comparable à celui qui existait durant la période communiste. Avec un déclin démographique relativement faible (–0,2 % par an) malgré une situation très dégradée du niveau de l’emploi et un vieillissement accru de la population (plus de 50 % à plus de 70 ans), il s’agit d’une des régions les plus pauvres d’Europe. Le PIB par habitant y est inférieur à 70 % de la moyenne européenne. 235 000 exploitations familiales déclarées (dont 200 000 partiellement ou totalement écartées du marché) feraient vivre directement ou indirectement plus de 550 000 personnes, soit 49 % de la population régionale. Entre stratégie de repli social vers les métiers de l’agriculture pour les personnes les plus fragiles, faible gestion collective des ressources (dont le foncier), taille relativement élevée du groupe familial vivant sur l’exploitation (en regard de la moyenne européenne) et forte « imbrication » entre les unités de production et le ménage, ces exploitations sont très éloignées de l’idéal type occidental (Bański, 2005).

Une agriculture surtout dotée en capital naturel

Les exploitations semi-vivrières font en moyenne moins de 1 ha. Elles fonctionnent exclusivement en faire-valoir direct. Il s’agit soit de propriétaires âgés (plus de 50 % ont au moins 70 ans), soit de très jeunes (32 % ont moins de 25 ans). Pour les plus jeunes d’entre eux, ils ont connu au moins précédemment une période d’inactivité et se sont repliés sur les terres héritées de leur famille. La disposition de ce bien foncier est d’ailleurs très largement le point de départ du projet de repli vers l’agriculture. Ce foncier, qui revêt d’ailleurs souvent plus une valeur de patrimoine qu’une valeur d’usage, prend sens dans l’histoire complexe que les paysans ont entretenu avec le pouvoir, les puissances occupantes ou le régime communiste.

Les capitaux physique et financier de ces exploitations sont peu importants et très rarement mutualisés ou externalisés. Le gouvernement polonais participe très peu à ces dotations (équipements de base, infrastructures, etc.). Depuis la loi de 2014, il réserve d’ailleurs ses crédits, dans la juste lignée des directives de la PAC, aux exploitations marchandes les plus rentables qui sont inscrites dans des stratégies de regroupement et d’alliances avec l’agro-industrie.

Dans la grande majorité des situations, ces familles agricoles de Podlasie développent des systèmes de production caractéristiques de la vaste plaine sablonneuse et argileuse de cette partie orientale de l’Europe, marquée de surcroît par un climat froid et humide. L’arboriculture domestique et la culture de la pomme de terre occupent la majeure partie des superficies cultivées, combinées au chou et aux plantes fourragères. Les rendements sont très faibles, compte tenu du faible potentiel agronomique des sols saturés en eau. La culture y est essentiellement manuelle (ou recourant à une motorisation très légère) et même, fait relativement rare en Europe, souvent en traction animale. Le travail est exclusivement fourni par le groupe domestique. Il constitue souvent le principal coût de production. Le recours aux intrants, réservé aux quelques exploitations familiales modernisées, est très marginal ; les semences sont très souvent autoproduites et la vente des productions, lorsqu’elle existe, ne dépasse généralement pas 15 % du produit brut annuel. L’élevage très extensif, en grande partie bovin, occupe également une place de choix dans ces petites exploitations marquées par la polyculture. Dès lors, avec la propriété de la terre, il constitue souvent le principal capital (voir le seul) des familles. Il est un des éléments de différenciation important entre les exploitations et constitue à la fois un lieu d’accumulation et de production.

Un capital humain essentiellement recentré sur l’exploitation pour les ménages plus jeunes

La taille du groupe familial vivant sur l’exploitation agricole semi-vivrière est en moyenne huit fois supérieure à celle de l’agriculture « marchande ». On estime qu’en Podlasie une unité de ce type (d’environ 1 ha) fait vivre en moyenne un noyau familial composé de quatre individus. Le nombre de personnes travaillant directement sur l’exploitation est lui aussi relativement important. Alors qu’il a été divisé par 6 depuis 2000 dans les exploitations familiales « marchandes », il est resté à un niveau très élevé (1,7 actif/ha). Les politiques publiques et les réformes structurelles imposées par la PAC n’ont vraisemblablement pas réussi à le faire baisser ; bien au contraire, le contexte économique régional, aujourd’hui dégradé, l’a même accentué (+3 % depuis 2010).

Contrairement à l’Europe occidentale où l’augmentation de la productivité agricole s’est paradoxalement accompagnée d’une certaine généralisation de la pluriactivité, le capital humain de la petite agriculture familiale polonaise reste encore largement mobilisé sur l’exploitation. Si la pluriactivité (et même la double activité) était répandue durant la période communiste (et permettait d’ajuster l’emploi entre secteurs économiques), la crise brutale de l’industrie orientale polonaise au milieu des années 2000 et l’effondrement des activités dans les services à la population ont fortement affaibli les opportunités d’emplois de complément pour les ménages agricoles. Alors qu’une exploitation semi-vivrière sur deux s’inscrivait dans une telle logique pluriactive au début des années 1990, elles ne sont plus qu’une sur dix en 2013.

Inversement à la situation la plus courante en Europe occidentale, ce sont surtout les exploitations dirigées par les agriculteurs les plus âgés qui s’inscrivent encore dans des stratégies pluriactives ou de double activité (cela concerne plus de 70 % des plus de 50 ans). Cette situation, paradoxale en apparence, peut s’expliquer de deux manières. Tout d’abord, cette population dispose d’un capital physique supérieur aux jeunes ménages, notamment en matière d’équipement automobile. Elle est de fait plus mobile, et cette mobilité facilite son accession (même très partielle) au marché de l’emploi urbain environnant (accession d’ailleurs favorisée par l’amélioration des infrastructures routières). Ensuite, elle est socialement « plus intégrée » dans une société villageoise qu’elle n’a jamais réellement quittée. Elle jouit ainsi d’un positionnement plus favorable dans les réseaux d’interconnaissance et d’entraide locaux et accède, peut-être plus facilement que les « nouveaux agriculteurs », aux « petits emplois publics de complément » offerts ponctuellement par les administrations locales (distribution du courrier, entretien des espaces publics, etc.). Plus anecdotique, et lorsque son patrimoine immobilier le lui permet, elle commence à s’engager vers des actions agrotouristiques ; mais la demande polonaise étant encore infime, les investissements en matière d’amélioration des infrastructures pour répondre aux standards de l’hébergement européen restent démesurés par rapport aux bénéfices potentiellement retirés. Néanmoins, si cette population la plus âgée vit désormais plus de ces petits emplois et surtout de ses faibles pensions de retraite versées par l’État (qui offrent en moyenne un complément financier qui peut atteindre 80 % du revenu du ménage), elle se dit avant tout « paysanne ».

À l’inverse, pour les ménages les plus jeunes, la crise économique a accentué le fort recentrage des stratégies domestiques sur l’agriculture. Seul un jeune ménage sur dix est engagé dans une démarche de pluriactivité. Il s’agit majoritairement d’anciens salariés licenciés des entreprises urbaines en difficulté. Sans emploi ou perspectives d’emploi, et dans l’impossibilité matérielle et financière de rester en ville, ils se sont alors repliés sur leur lopin de terre. Contrairement aux ménages agricoles anciennement installés, qui cumulent revenus d’activité sur l’exploitation, revenus hors de l’exploitation et pensions de retraite, leur revenu est inférieur à 60 % à celui de leurs aînés (Rosner, 2012). Faute de capitaux financiers suffisants, ils semblent avoir renoncé à tout projet d’élargissement foncier et de modernisation de l’appareil de production. Disposant d’un faible capital physique, notamment en matière d’équipement automobile, ils repoussent aussi toute stratégie de pluriactivité supposant, entre autre, une mobilité quotidienne vers les petits pôles urbains, seuls pourvoyeurs de quelques emplois salariés pour certains des membres du ménage.

Le niveau de formation de ces jeunes actifs agricoles est par contre généralement supérieur à celui de leurs aînés ; l’évolution du système éducatif et l’accession à la formation professionnelle en est indéniablement la cause. Ceci dit, pour 9 agriculteurs sur 10, le type de qualification n’a aucun lien avec l’activité agricole. Certes, le gouvernement polonais propose des plans de formation pour les jeunes agriculteurs via les chambres d’agriculture et les directions régionales de l’agriculture dans les voïvodies[9] ; mais ne cotisant pas aux différents fonds sociaux agricoles pour la grande majorité d’entre eux (près de 80 %), ils n’y ont généralement pas accès. Finalement, même si l’État inscrit son action dans l’amélioration du capital humain (formation, renforcement des capacités, etc.), force est de constater que les dispositifs sont quasiment inaccessibles à une population en voie de marginalisation professionnelle et sociale.

Diminution de la dotation en capital financier provenant de l’apport migratoire

L’émigration d’une partie des individus du groupe familial a été fortement réduite avec la crise du milieu des années 2000. Si elle ne constitue plus aujourd’hui une stratégie prioritaire pour les familles agricoles les plus marginalisées, elle revêtait pourtant une importance capitale dans les premières années qui suivirent le changement de régime politique (Latruffe, 2005). Les transferts de fonds des émigrés (essentiellement en provenance du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de l’Irlande, du Danemark et des États-Unis) faisaient partie intégrante des ressources du groupe familial pour la consommation, mais aussi pour l’investissement ou la diversification des activités économiques. En Podlasie en 1999, le capital financier de près d’une exploitation « non marchande » sur cinq dépendait en grande partie de l’émigration d’au moins un de ses membres et donc de dotations en capital humain.

Aujourd’hui, les statistiques régionales estiment que seule une exploitation « non marchande » sur vingt serait concernée par la question du transfert de fonds des émigrés. Il s’agirait exclusivement d’exploitations dirigées par des actifs relativement âgés dont l’un des membres de la famille aurait émigré il y a en moyenne plus de 15 ans. Ces statistiques disent également que, depuis, les conditions d’émigration se seraient fortement dégradées. Pour les migrations de longue durée vers l’Europe occidentale ou les États-Unis, les fonds nécessaires prélevés sur les revenus et le capital de l’exploitation agricole auraient doublé en 20 ans d’après un rapport du gouvernement polonais. Ils seraient devenus prohibitifs. Dans le même temps, le revenu moyen des exploitations semi-vivrières (revenus agricole et non agricole) aurait diminué d’un tiers, amenuisant d’autant la capacité d’émigration d’un des membres du ménage. Pourtant, une étude récente de la voïvodie de Podlasie montre que les exploitations, composées d’au moins un émigré de la première vague (1990 à 2000) qui envoie régulièrement des fonds, ont pu minimiser les risques liés à l’exclusion du marché de sa famille. Ces exploitations, même si elles dégagent de faibles revenus, sont finalement celles qui s’en sortent le mieux (d’autant que ce sont souvent les mêmes qui s’inscrivent dans des stratégies de pluriactivité) et où la précarisation économique et sociale est la moins marquée.

Un faible capital social, en déconnexion avec la société et les marchés

Le capital social, entendu comme la somme des ressources liées à la possession d’un réseau durable de relations d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance, joue un rôle relativement « faible », du moins dans sa forme institutionnelle. S’il est souvent considéré comme l’un des moteurs des stratégies des familles cherchant une reconnaissance professionnelle, il influence finalement peu la transformation et la modernisation des petites exploitations semi-vivrières. Les exploitations sont faiblement intégrées à des réseaux locaux ou régionaux de producteurs (seule 1 sur 20), dominés par les exploitations familiales « modernisées » qui en « verrouillent l’accès ». Très peu d’exploitants sont également membres de syndicats agricoles (moins de 1 sur 12). Cet isolement professionnel renvoie à la faible connexion de cette agriculture avec la société globale et ne facilite pas le dialogue avec les institutions nationales. Elle ne favorise pas non plus l’implication de ces agriculteurs dans les instances de gouvernance locale, régionale et nationale.

La loi d’orientation agricole polonaise de 2008 tendait pourtant à favoriser l’émergence de coopératives agricoles (coopératives d’achat et de production) pour faciliter les alliances contractualisées avec les partenaires agro-industriels, les grandes exploitations familiales et les exploitations sociétaires. Ces alliances devaient permettre à ces grandes structures de prendre le contrôle de la gestion de la production et de la commercialisation selon une logique de maximisation de la rentabilité commerciale, de performance et de minimisation des coûts de transaction. Parallèlement, ces partenariats « stratégiques » devaient permettre à l’agro-industrie et aux grandes exploitations (familiales et sociétaires capitalisées) de participer, au même titre que l’État, à la dotation en capital physique (équipement en matériel agricole, achats de silos de stockage, etc.) et en capital humain (formations, etc.) des petites unités familiales polonaises. Pour faire face aux dures lois de la sélection par le marché, ces regroupements devaient renforcer le capital social d’une petite agriculture familiale « sapée par les héritages de l’époque communiste, aucunement compétitive et marginalisée » (Ministry of Agriculture, 2008).

Au début, l’ensemble des producteurs agricoles (marchands et non marchands) étaient simplement « invités » à se regrouper en coopérative ; mais très vite, les autorités ont tenté de les contraindre, notamment par la menace d’une suppression de leurs droits sociaux et d’accession au crédit. Au final, si 8 exploitations familiales « marchandes » sur 10 ont rejoint des regroupements coopératifs, elles sont à peine 1 sur 30 pour les « non marchandes ». Malgré les fortes injonctions du gouvernement polonais, ces dernières ne se sont finalement pas intégrées à ces réseaux coopératifs dont les niveaux d’exigence (en matière de coût et de quantité de la production) ne sont pas tenables pour des exploitations à forte charge en main-d’œuvre et aux capacités de modernisation très limitées.

Pourtant, en janvier 2014, une nouvelle loi polonaise fait dorénavant du regroupement une nécessité pour l’obtention des droits sociaux et la reconnaissance de l’activité agricole. Dès lors, en Podlasie, c’est déjà plus de 25 000 petites exploitations familiales semi-vivrières qui viennent d’être radiées des registres nationaux agricoles. À l’image de la situation hongroise du début des années 2000, ces « petits paysans » polonais désormais destitués de leurs droits sociaux et de la reconnaissance de leur activité poursuivent leur inéluctable trajectoire de marginalisation. Les réseaux informels d’interconnaissance et d’entre-aide constituent finalement aujourd’hui la seule dotation en capital social qu’ils peuvent mobiliser. Les ventes des productions, seuls revenus pour les trois quarts des petits exploitants qui ne bénéficient pas de pensions de retraite ou d’activités de complément, sont rares et circonscrites à quelques circuits courts dans lesquels l’interconnaissance apparaît plus déterminante que les relations commerciales contractuelles. Trois exploitants sur quatre ne commercialisent plus aucune de leur production et tous sont conscients que leur exploitation est gravement menacée.

Conclusion

Au terme de ce chapitre, deux traits spécifiques de l’agriculture familiale polonaise méritent de retenir l’attention : l’hétérogénéité structurelle qui selon des modalités diverses revêt la forme d’un dualisme agraire et l’écart encore important qui les sépare des structures des anciens pays membres. Dans ce pays, les exploitations familiales y forment un ensemble composite de micro-exploitations de subsistance et d’unités de production orientées vers le marché. Si les restructurations ont permis de réduire sensiblement l’emploi agricole dans le secteur marchand et d’adapter graduellement les systèmes de production au nouveau contexte, il en est autrement de la petite agriculture semi-vivrière, handicapée par une excessive fragmentation foncière et un suremploi agricole. Une grande majorité de ces exploitations s’est alors durablement écartée de la voie ouest-européenne de modernisation productiviste. Contrairement à ce qui était attendu après le changement de régime politique et l’intégration à l’Union européenne, cette agriculture n’est pas parvenue à opérer sa conversion moderniste vers un modèle agricole familial intensif comparable à celui qui s’est développé au sein des pays membres de l’UE.

Cette agriculture semi-vivrière se fonde aujourd’hui exclusivement sur la mobilisation des capitaux naturel et humain, supplantant les faibles investissements physiques ou financiers. Alors que la terre, inscrite dans une stratégie de conservation patrimoniale, revêt une importance capitale dans le repli agricole, ce sont exclusivement les ressources humaines d’un groupe domestique recentré sur l’exploitation qui contribuent au produit. Le recours au capital social, considéré pourtant comme l’un des moteurs des stratégies des familles cherchant une reconnaissance professionnelle et une connexion avec la société globale, se limite, dans le meilleur des cas, à quelques réseaux d’entre-aide locaux. Il est dès lors logique que la production soit principalement destinée à la consommation familiale et, exceptionnellement, aux échanges non marchands. C’est avant tout une attitude de résignation qui l’emporte chez ces exploitants qui sont largement engagés sur une trajectoire de marginalisation, d’exclusion économique et sociale et de conservation du patrimoine foncier, seul capital dont ils disposent.

Agriculture urbaine et périurbaine, les exploitations laitières du Caire, Égypte

Annabelle Daburon, Véronique Alary, Ahmed Ali, Mohammad El-Srogi, Jean-François Tourrand

La mégapole du Caire compte aujourd’hui près de 20 millions d’habitants. En son cœur et dans sa périphérie subsiste une activité agricole organisée sur une base familiale. Ce chapitre éclaire la situation des exploitations, qui contribuent à l’approvisionnement alimentaire du Caire, en particulier en produits laitiers et maraîchers. Les données sont issues d’une étude conduite dans le cadre du projet Dairy entre le Cirad, l’Université d’Ain Shams et l’Animal Production Research Institute (APRI), sur l’approvisionnement en lait du Caire.

Contexte de l’agriculture familiale contemporaine en Égypte

Un bref historique

La tradition agricole égyptienne remonte à plusieurs millénaires et constitue, encore aujourd’hui, une source importante de revenus pour le pays, avec 13 % du PIB en 2009 (Banque mondiale, 2013)[10]. En raison de l’aridité du climat, les terres cultivables représentent seulement 3,7 % du territoire. Elles sont irriguées et localisées sur une bande de terre de 20 à 30 km de large le long du Nil et dans son delta. Ce fleuve, véritable cordon nourricier, constitue la principale ressource en eau disponible pour l’irrigation (Mekonnen, 2010).

La population égyptienne compte aujourd’hui près de 82,5 millions d’habitants et avait un taux de croissance proche des 1,7 % par an en 2011 (Unesco, 2013)[11]. Le taux d’urbanisation était de 82 % en 2010 (Gazel et al., 2010). Ce phénomène se traduit par un tissu très serré d’agglomérations dans le delta du Nil et sur ses berges. Il représente une menace indirecte pour l’activité agricole en Égypte, certaines estimations comptabilisant une perte de 1,35 million de feddans[12] entre 1952 et 2002 (El-Hefnawi, 2005).

Une population importante et en croissance avec des terres cultivables limitées font que l’Égypte est extrêmement dépendante des marchés internationaux, malgré de multiples politiques visant à accroître la production alimentaire nationale. On peut citer entre autres la stratégie d’extension des terres agricoles sur le désert, qui est au cœur de la politique nationale depuis la révolution de 1952. Combinée à l’amélioration de la productivité des exploitations présentes sur les anciennes terres, cette dynamique d’aménagement de nouvelles terres agricoles constitue encore aujourd’hui un des points forts de la stratégie nationale d’autosuffisance alimentaire (Abul-Naga, 2009).

L’agriculture du Caire

L’agriculture familiale de polyculture-élevage est la plus répandue en Égypte et représente la majorité de la production agricole, dont une part importante s’effectue en zone urbaine ou périurbaine. À côté se développe une agriculture d’entreprise[13], à la fois pour les produits locaux (lait, aviculture, etc.) et l’exportation (notamment pour les fruits et légumes).

Le Caire est emblématique de la pression urbaine sur les terres cultivables en Égypte (Khadr et al., 2010). Se développant essentiellement sur l’entrée du delta du Nil, la ville compte une activité agricole importante alimentant ses marchés en denrées périssables (lait de bufflesse, viande, légumes…).

On distingue deux grands types d’exploitations familiales en urbain et périurbain :

  • des exploitations intégrées de polyculture (céréales, fourrages, maraîchage) et d’élevage (buffles laitiers, élevage allaitant et d’engraissement avec des vaches de la race locale baladi). Dans ce groupe, on observe un gradient de taille allant : des micro-exploitants avec un très petit cheptel (une bufflesse laitière en médiane) et valorisant une parcelle agricole, en propriété ou louée, d’environ 1 feddan (≈ 0,42 ha), aux petits exploitants travaillant sur plus de trois feddans (≈ 1,4 ha) et avec en valeur médiane cinq buffles laitiers ;

  • des exploitations hors-sol se consacrant à la production laitière et plus rarement à l’engraissement. De la même façon, dans ce groupe, existent des micros et petites exploitations avec en valeur médiane respectivement 5 et 20 buffles laitiers.

Tableau 2.1. Caractéristiques structurelles majeures des types d’éleveurs à la périphérie et dans Le Caire.

Polyculture-élevageÉleveurs hors-sol
MicroPetitMicroPetit
Taille médiane du cheptel bovin15520
Surface agricole utile médiane en propriété ou location (en feddans)1300

Ce chapitre décrit ces exploitations familiales de polyculture-élevage, jusqu’ici peu renseignées dans la littérature qui, au-delà de la taille, présentent des fonctionnements similaires.

Les activités agricoles au cœur de la famille

L’activité agricole est insérée dans le système d’activité d’un ménage le plus souvent composé d’un homme, à la fois chef d’exploitation et chef de famille, de sa femme et de leurs enfants. Dans le contexte cairote, la famille élargie, qui inclut les parents proches et éloignés, joue un rôle important et peut avoir une influence considérable sur les activités agricoles du ménage.

Une main-d’œuvre familiale

La main-d’œuvre est majoritairement familiale. En cas de besoin, les chefs d’exploitation peuvent faire appel à de la main-d’œuvre temporaire, issue de la famille élargie ou parfois du réseau social. Cette entraide est très rarement rémunérée et représente une forme d’échange de service entre membres d’une même famille. Le recours à de la main-d’œuvre extérieure rémunérée ou à des prestations se limite à des opérations particulières (pompage pour l’irrigation, labour motorisé…) et reste ponctuel.

Une famille, une exploitation, un seul capital

Il existe une fongibilité complète entre patrimoine familial et capital d’exploitation. C’est dans les ressources familiales que le chef d’exploitation puise en priorité pour investir dans l’exploitation agricole, et le capital d’exploitation (animaux, terres…) est mis à contribution pour le fonctionnement domestique de la famille (par exemple, en cas de mariage, de deuil, de maladie). Il n’est pas rare de vendre des animaux ou une parcelle pour faire face aux dépenses familiales. L’héritage illustre aussi cette fongibilité : chaque héritier reçoit une part du patrimoine familial qui intègre aussi le foncier, dans le cas où la famille en possède, et les animaux selon les normes sociales en vigueur.

Le chef de famille dépositaire du savoir agricole et les femmes de la transformation du lait

Les choix techniques sont assumés par le chef d’exploitation qui est la figure d’autorité dans ces systèmes patriarcaux. Les jeunes, lorsqu’ils travaillent sur la ferme, sont souvent cantonnés à l’exécution des travaux, notamment les plus physiques. Ainsi, les hommes sont principalement en charge des travaux sur les parcelles, c’est-à-dire les cultures et les soins aux animaux dans la journée.

Dans ces exploitations du Caire, les femmes sont en charge des activités domestiques, mais elles jouent aussi un rôle central en élevage en assurant la distribution de l’aliment concentré, la traite et la transformation du lait en beurre, crème et fromages. De plus, elles vendent, à la maison et parfois sur les marchés, les produits laitiers, principalement sous forme de lait frais. La vente de produits transformés n’est pas très fréquente. Jusqu’à aujourd’hui, chaque foyer égyptien transformait le lait frais et les produits bruts, achetés au marché. Apparaît petit à petit, avec l’adoption du mode de vie urbain, une frange de la population qui s’oriente vers des produits transformés, mais celle-ci demeure encore restreinte.

La commercialisation après transformation offre ainsi une opportunité intéressante de valorisation de la production laitière pour les familles de producteurs. Les pratiques de transformation et de commercialisation sont différentes selon la localisation géographique dans la ville en relation avec le niveau de vie moyen du quartier. On peut évoquer la vente de fromages à environ 50 LE/kg[14] (≈ 5,40 €) sur les marchés, le beurre vendu 40 LE/kg (≈ 4,40 €), la crème et les yaourts. Notons aussi les différents modes de commercialisation du lait frais (livraison à dos d’âne, commercialisation aux portes de la ferme) dont les prix aux consommateurs peuvent varier de 6 à 8 LE par litre (≈ 0,65-0,87 €) pour le lait de bufflesse. En étant souvent les seules dépositaires des connaissances des techniques de transformation, les femmes jouent un rôle important dans la valorisation des produits de cette agriculture familiale, valorisation qui demeure encore limitée.

Vers la satisfaction des besoins alimentaires de la famille

L’activité agricole est d’abord orientée vers l’autoconsommation du ménage qui peut aussi inclure une couverture partielle des besoins de la famille élargie. Les surplus sont vendus, souvent sans être transformés, via les circuits de distribution extrêmement courts évoqués précédemment, offrant des prix de vente avantageux.

Les exploitations avec des surfaces agricoles utiles importantes ont des orientations commerciales et peuvent, dans certains cas, vivre uniquement de la vente de leur production. Mais dans le cas des plus petites exploitations, les revenus générés par la vente des produits agricoles demeurent limités et doivent être complétés par des activités extra-agricoles pour couvrir les besoins de la famille.

Les revenus sont gérés par le chef de famille, qui décide de leur allocation soit dans la sphère familiale, soit dans les activités économiques de l’exploitation. Cette centralisation des ressources financières laisse une très faible marge de manœuvre aux jeunes générations et aux femmes qui sont le plus souvent dépendantes du chef d’exploitation, ce qui limite leur capacité d’initiative.

Cette prédominance des chefs d’exploitation dans la prise de décision est cependant à mettre en perspective dans le cadre des familles élargies. La liberté dans les orientations stratégiques de l’exploitation, à l’échelle du ménage, reste subordonnée aux intérêts de la famille élargie. Les chefs d’exploitation se réunissent en « conseils de famille », l’aîné ayant souvent le plus de poids, afin d’orienter la stratégie de la famille élargie. La liberté propre de chaque chef d’exploitation se retrouve donc limitée : s’il fait autorité dans son ménage et dans sa ferme, il doit rester en accord avec les intérêts de la famille élargie. En termes de liberté décisionnelle, les éleveurs « isolés » sont beaucoup plus indépendants, bien que leur réseau social plus étroit puisse constituer un frein au développement économique.

Les exploitations familiales de polyculture-élevage du Caire

Les capitaux à la disposition des familles

On peut donner une représentation générale des capitaux possédés par ces familles d’agro-éleveurs afin de cerner au mieux la structure de celles-ci.

Capital naturel

Bien que la notion de capital naturel soit sujette à discussion dans ce milieu très artificialisé, les accès à l’eau et aux terres constituent deux composantes majeures pour ces exploitations.

Le foncier est en général composé d’une parcelle de terre irriguée de petite taille (moyenne de 2 feddans, soit 0,84 ha). Certaines familles ne possèdent pas de terre et louent des parcelles à des propriétaires privés (la majorité des cas de location à la périphérie du Caire), à l’État ou à des institutions religieuses. Jusque dans les années 1990, les contrats liant les propriétaires privés et les locataires étaient établis sur des bases décennales et se transmettaient de génération en génération. Aujourd’hui, ces contrats sont annuels. Ainsi, chaque année, les locataires peuvent être menacés « d’expulsion » des terres que parfois leurs aïeuls mettaient déjà en valeur, au profit de projets d’urbanisation proposés aux propriétaires. La conversion de terres agricoles n’étant pas autorisée par l’État, ces transactions sont informelles et sans aucun encadrement public en terme de projet d’urbanisation (absence d’assainissement, de ramassage des ordures, d’écoles, de services de santé…). L’augmentation du prix des terrains en périphérie du Caire est exponentielle et le montant pour un hectare se situerait aujourd’hui autour d’un demi-million d’euros, sachant que sur un hectare pourront être construits aisément entre 12 et 15 immeubles de 10 à 12 étages avec en moyenne 4 à 6 appartements par étage, soit entre 500 et 1 000 appartements pouvant héberger de 3 000 à 10 000 habitants. Les exploitants locataires de terres agricoles sont donc dans une situation précaire.

Ces terres sont le plus souvent attenantes à la ville, voire même parfois incluses dans la trame urbaine. Les sols mis en culture depuis des millénaires, et qui bénéficiaient par le passé des crues du Nil, sont, selon les acteurs locaux, toujours fertiles grâce à un recours à la fumure animale et plus récemment à des engrais chimiques. Selon les résultats de notre enquête, le rendement moyen en blé irrigué est de 7 tonnes par hectare. Cette fertilité est soumise au bon fonctionnement du système de drainage.

La gestion de l’eau est un second élément crucial pour ces systèmes agricoles. Hopkins (2005) nous renseigne sur les lois encadrant l’utilisation de l’eau. Par le passé, chacun pouvait bénéficier des canaux d’irrigation et du réseau de drainage principal, entretenus par le service public. L’eau en provenance du Nil n’était pas directement tarifée puisque la gratuité de l’eau est l’un des principes de l’islam. L’entretien du réseau était couvert par les taxes foncières prélevées sur les propriétaires de plus de 5 feddans. Mais le petit nombre des exploitations de cette taille et les faibles moyens attribués aux collecteurs de la taxe ont eu rapidement raison du système. Toujours selon Hopkins (2005), sur le plan local, des organisations de producteurs, promues par l’État, furent chargées de la gestion des infrastructures du réseau secondaire. Supposées s’autofinancer, elles sont aujourd’hui peu actives dans la région du Caire. Enfin, selon les acteurs locaux, l’urbanisation informelle nuit au bon fonctionnement des réseaux hydrographiques (irrigation et drainage), en contribuant à reboucher les canaux de drainage (construction), et par la pollution qui résulte de l’absence de système d’assainissement ou de collecte de déchets ménagers. Aujourd’hui, la fertilité des sols les plus proches de la ville serait compromise par la faible efficience des systèmes de drainage qui entraînerait la saturation du sol en eau par la remontée du niveau de la nappe phréatique. L’eau de surface, qui ne peut infiltrer le sol du fait de sa saturation, s’évapore mais le sel qu’elle contient reste sur la parcelle provoquant une salinisation progressive des parcelles.

Capital physique

Chaque parcelle dispose d’un abri en bois et branchages semi-ouvert avec un foyer, sans électricité, où les animaux passent la journée et où l’exploitant prend son déjeuner. Aucun matériel ne reste la nuit pour prévenir les vols. Les outils agricoles sont essentiellement manuels : serpes pour la récolte du berseem ou trèfle d’Alexandrie (Trifolium alexandrinum), pelles pour la construction des diguettes, etc. La plupart des exploitants ne possèdent ni tracteur, ni motoculteur pour le travail du sol et ils louent les services d’un entrepreneur pour réaliser les travaux de labour et parfois de récolte. Aujourd’hui, les producteurs ont recours à des motopompes diesels mobiles – qu’ils possèdent ou qu’ils louent à leurs voisins – pour irriguer leurs parcelles en relevant l’eau du canal d’irrigation ou pour prélever directement l’eau dans la nappe phréatique (puits) quand les canaux s’assèchent ou se tarissent.

Les exploitants ont une charrette (à âne ou à cheval) qu’ils utilisent quotidiennement pour faire l’aller-retour entre le champ et la maison d’habitation et transporter le matériel, la fumure, les fourrages en vert, les récoltes, etc. Les animaux d’élevage font aussi le trajet, le fourrage est ainsi distribué directement sur la parcelle. Les distances entre les parcelles et les maisons d’habitation sont souvent courtes (< 3 km).

La maison d’habitation est le plus souvent située dans un des quartiers populaires d’urbanisation informelle (voir précédemment), qui, en 2006, hébergeaient près de 65 % de la population du Caire (Séjourné, 2009). Elle est généralement connectée aux réseaux publics d’alimentation en eau et en électricité. Les animaux dorment au rez-de-chaussée ou dans une arrière-cour aménagée en étable. La famille se répartit dans les étages ; généralement un ménage par étage. Enfin, le toit est parfois aménagé pour accueillir quelques petits ruminants et la basse-cour (poules, canards, pigeons).

L’équipement domestique est utilisé pour la transformation des produits agricoles et en assurer une plus longue conservation, notamment pour la consommation familiale. Ainsi, la commercialisation des produits transformés, à une échelle réduite, constitue une option d’amélioration des revenus de ces ménages qui ne nécessite qu’un faible capital physique.

Cheptel

Les bufflesses sont principalement élevées pour la production laitière, leur lait étant plus riche en matière grasse que les vaches (8 à 9 % de matières grasses). Les veaux sont parfois engraissés sur l’exploitation, mais sont le plus souvent vendus après sevrage à des marchands ou des engraisseurs spécialisés. Les plus petites exploitations n’ont qu’une ou deux bufflesses, mais dans de nombreux cas cinq à six bufflesses sont présentes qui produisent chacune en moyenne près de 8 l/j. Les animaux de réforme sont valorisés en boucherie (environ 600 kg en poids vif). Les vaches baladi sont surtout élevées pour la production de veau et les activités d’engraissement. La viande de baladi est très appréciée par le consommateur et la croissance des veaux est plus rapide que celle des jeunes buffles (450 kg en 3 ans pour les buffles contre 500 à 550 kg pour les baladi). On compte souvent moins de vaches (ou de veaux) baladi que de buffles, et rarement plus de trois ou quatre animaux à l’engraissement.

Quelques petits ruminants (quatre ou cinq chèvres ou moutons) et une petite basse-cour élevés sur le toit de la maison permettent d’assurer les besoins en viande de la famille. Il n’est pas rare que les exploitations achètent quelques chèvres ou moutons supplémentaires à emboucher 2 à 3 mois avant les fêtes religieuses, tant pour la consommation familiale que pour la création d’un complément monétaire, permettant de faire un retour sur investissement appréciable au vu de la flambée des prix du marché à cette période. Enfin, les animaux de traction et de transport ont un rôle central dans l’activité agricole. La famille possède souvent un ou deux ânes, parfois un cheval.

Sur cette base commune, on peut distinguer des exploitants qui se spécialisent dans l’engraissement (en conservant une petite production laitière pour l’autoconsommation), d’autres qui se spécialisent dans la production laitière, avec des productions agricoles uniquement destinées à l’alimentation animale. Le cheptel de l’exploitation reflète l’histoire familiale, mais s’adapte aussi aux conjonctures économiques.

Capital humain

La famille de l’exploitation est constituée le plus souvent par un couple avec trois ou quatre enfants, même si l’on rencontre encore des familles avec plus de cinq enfants. Les hommes sont principalement chargés des travaux aux champs. Ils possèdent des savoirs agronomiques transmis oralement de père en fils. Les rendements obtenus laissent supposer un très bon niveau technique, qui a pu se développer au fil des générations, mais certaines connaissances de base, en particulier sur les aspects sanitaires, font parfois défaut. Souvent les hommes sont double-actifs avec des emplois à mi-temps, non qualifiés (gardiens…) et faiblement rémunérés. Parmi les chefs d’exploitation, le niveau de scolarisation est très faible et beaucoup sont analphabètes. Les jeunes hommes aident leurs parents dans les tâches agricoles et travaillent souvent à l’extérieur comme ouvriers du bâtiment ou journaliers agricoles. La plupart d’entre eux ont été scolarisés, mais le niveau atteint reste souvent modeste (primaire et parfois secondaire). L’objectif de ces jeunes hommes est d’accumuler rapidement un pécule afin d’accéder au mariage. Les jeunes femmes ont, quant à elles, rarement accès à l’éducation et sont actives, comme leur mère, dans la sphère domestique. La formation des jeunes femmes, par les femmes de la famille élargie (mère, grand-mères, tantes), concerne la transmission de compétences pour la gestion de la maison, l’éducation des enfants, l’alimentation de la famille, dont la transformation de la production agricole, animale et végétale, ainsi que la conduite des animaux, afin d’être préparées à jouer leur rôle d’épouse lorsqu’elles rejoindront la famille de leur époux. Précisons que la répartition des tâches n’est pas totalement figée et il arrive de voir des femmes travailler aussi au champ et des hommes en charge de la traite.

La taille des familles et leur composition constituent un élément déterminant des activités menées. Ainsi, les familles avec plusieurs garçons ne dépensent pas en main-d’œuvre agricole extérieure et ont la possibilité de générer des compléments de revenu via des emplois extra-agricoles. À l’inverse, une famille avec beaucoup de filles aura plus de charges et moins de possibilités de revenus extérieurs puisque l’interdit social empêche nombre de jeunes femmes de participer aux travaux agricoles ou de décrocher des emplois. Par ailleurs, il faut constituer les dots pour leur mariage. On peut cependant identifier une tendance à davantage scolariser les filles et à les orienter vers des professions de service ou du tertiaire dès que les moyens le permettent. Enfin, un nombre plus élevé d’enfants assure aux parents une forme de sécurité pour leur retraite.

Ces familles ont, dans la majorité des cas, un accès limité aux services de santé du fait de leurs faibles revenus, bien que représentant une population à risque, puisqu’elles vivent en contact permanent et étroit avec des animaux aux statuts sanitaires méconnus. En revanche, leur sécurité alimentaire est assurée par leur production agricole, à la différence de nombreuses familles urbaines sans accès à la terre.

Capital social

Les organisations professionnelles agricoles ont eu par le passé un rôle très important ; elles sont aujourd’hui peu fonctionnelles (Farahat, 2004). Affiliées à l’État, elles ont été l’objet de récupération politique et sont dépourvues de moyens financiers. Leur image est très dégradée auprès des paysans. Si, par le passé, l’État soutenait économiquement ces organisations et l’élevage, en subventionnant l’aliment pour bétail, en offrant des assurances ou des médicaments vétérinaires, il n’en est rien aujourd’hui. Seul subsiste le soutien aux intrants chimiques, mais de nombreuses fraudes en détournent une partie vers le marché noir.

Le réseau familial constitue le principal filet de sécurité (en cas de maladie, d’accidents, de décès, de problèmes divers) ; il offre des possibilités d’emprunts, un recours à la main-d’œuvre supplémentaire et la mise en commun de moyens logistiques. Les échanges au sein de ce réseau sont fondés sur un principe de réciprocité. L’inclusion dans le réseau familial présente à la fois des avantages et des contraintes. L’intérêt de la famille élargie prime parfois sur les intérêts des membres qui la composent. On peut par exemple citer le cas de certains producteurs laitiers contraints de vendre leur lait à un membre de la famille, un cousin, qui fait office de collecteur, à un prix peu attractif (par exemple 5 LE/l), au lieu de le vendre directement à des consommateurs et d’en tirer un meilleur prix (6,5 LE/l). Cette alternative réduit le revenu du ménage, mais permet de maintenir un emploi au sein de la famille élargie. En outre, les mariages, plus particulièrement dans les familles rurales, ont parfois encore lieu au sein de la famille élargie pour limiter la dispersion du capital, conduisant à des problèmes de consanguinité (Shawky et al., 2011), phénomène qui s’observe dans les populations d’agriculteurs périurbains. Les familles élargies développent des stratégies agricoles communes et semblent tirer avantageusement partie de leur importance démographique et de la mise en commun d’une partie de leurs capitaux. On a pu observer dans certaines familles élargies une intégration de la chaîne de production des intrants. Ainsi, la famille, outre qu’elle produit son propre fourrage, produit une partie de son concentré. Citons le cas d’une famille qui possède une boulangerie où les résidus des cuissons et les invendus sont réutilisés dans l’alimentation du troupeau. Dans le même temps, cette famille élargie avait intégré une entreprise travaillant le bois (menuiserie, charpenterie…). Là encore, les résidus de bois étaient utilisés en litière pour les animaux, assurant dans cette exploitation hors-sol l’hygiène essentielle à la production animale en environnement confiné.

À l’inverse, les familles isolées sont beaucoup plus vulnérables. Certaines se tournent alors vers le réseau de la communauté religieuse qui joue aussi un rôle important. Dans les mosquées, parmi les fidèles qui y prient et à l’échelle des quartiers, il existe des réseaux de solidarité qui assurent des services médicaux, des cours de religion, un soutien financier… dont peuvent bénéficier les familles les plus démunies.

Capital financier

Le capital financier de ces familles est limité, sauf dans le cas de propriétaires terriens qui ont vendu une partie de leur foncier. Les sommes retirées de la vente offrent des possibilités d’investissement dans l’activité agricole (pompe, achat d’un milk shop, fonds pour financer l’engraissement d’animaux) ou dans des activités non agricoles. Mais dans la majorité des cas, le capital financier est seulement constitué par la commercialisation des surplus agricoles et par les revenus des activités extra-agricoles des membres actifs de la famille.

Le mariage et l’installation des enfants sont des moteurs d’épargne, mais peuvent aussi engendrer des endettements sur plusieurs années, voire des décennies. Les emprunts sont le plus souvent réalisés au sein de la famille élargie, très rarement dans le système bancaire classique et parfois dans les banques et systèmes de financement islamiques.

Nous avons illustré le portefeuille de capitaux dont disposent ces familles, en utilisant des diagrammes en radar (figure 2.1) et un système de notation entre 0 et 10 selon l’importance du capital pour mener les activités agricoles, non agricoles et selon la maîtrise que les familles ont de ce capital.

Figure 2.1. Répartition des capitaux au sein des familles d’éleveurs du Caire.

Capitaux mobilisés dans l’agriculture.

Capitaux mobilisés hors agriculture.

Maîtrise familiale des capitaux.

Activités et stratégies des ménages
Répartition des taches

Comme évoqué précédemment, la répartition des tâches agricoles et ménagères au sein des familles est organisée en fonction du genre et de l’âge.

La participation des enfants aux tâches agricoles dépend des revenus et des liens sociaux des familles. La majorité des garçons est scolarisée avec une aide ponctuelle aux parents. Cette main-d’œuvre est essentielle pour les familles les plus pauvres, dans l’impossibilité de rémunérer de la main-d’œuvre extérieure, notamment au moment des pics d’activité que sont les semis, la récolte, mais aussi l’irrigation. Une famille incluse dans un réseau familial et social important pourra solliciter de l’aide en cas de pointe d’activité et limiter le recours à la main-d’œuvre infantile, à l’inverse des familles les plus isolées.

Des activités agricoles diversifiées et intensives

L’assolement se compose de céréales (blé et maïs dans la majorité des cas), d’une grande variété de légumes et de fourrages verts (berseem / Trifolium alexandrium l’hiver et darawa / Zea mays l’été) pour le troupeau. On compte en général deux cycles de culture pour les céréales et les fourrages, tandis que le maraîchage est pratiqué tout au long de l’année.

La production laitière des bufflesses excède rarement 12-13 litres par jour au pic de lactation. Celle-ci est souvent prolongée jusqu’à 10 mois avec un veau par vache, tous les 15 à 18 mois. Selon les disponibilités financières, le veau est vendu rapidement après sevrage ou engraissé sur une période de 3 à 4 ans du fait de la croissance lente du buffle (certaines familles privilégient l’engraissement de veaux baladi). L’animal est alors vendu de préférence pour la fête de l’Aïd où le prix de la viande augmente. Les familles élargies peuvent aussi être mises à contribution afin d’acheter l’aliment nécessaire à l’engraissement des veaux. L’animal sera alors consommé au sein de la famille élargie.

Des revenus agricoles conséquents

La production agricole joue un rôle majeur dans la sécurité alimentaire de ces ménages. Pour évaluer les revenus agricoles, nous avons intégré la production autoconsommée en la valorisant aux prix du marché. À partir des résultats des enquêtes, le revenu agricole moyen, y compris la production autoconsommée, des agro-éleveurs, est de 819 LE/mois (≈ 89,40 €) par membre de la famille (en incluant les femmes et les enfants), avec il est vrai une forte variabilité ( = ±1332 LE ou 145,40 €). Ce niveau de revenu est intéressant si on le compare au salaire moyen pour un emploi non qualifié (environ 700 LE/mois ou 76,40 €). Il existe une relation linéaire positive entre les revenus agricoles par mois et par personne et la surface agricole utile (figure 2.2), qu’elle soit en bien propre ou en location (les coûts de location étant inclus dans les charges pour l’estimation du revenu), d’où l’importance donnée au capital naturel dans le premier diagramme de la figure 2.1.

Figure 2.2. Revenu agricole et surface agricole utile.

Une exploitation a été retirée de la représentation graphique en raison de ses caractéristiques exceptionnelles.

La pluriactivité est très répandue pour les hommes, avec deux cas de figure :

  • des emplois permanents, avec des salaires allant d’environ 2 000 LE/mois (≈ 218,30 €) pour un plein-temps dans une compagnie privée à 700 LE (≈ 76,40 €) pour des emplois sans qualification (gardien, fonctionnaire de base, ouvrier dans des entreprises diverses…) souvent occupés par le chef d’exploitation et qui se transmettent de père en fils ;

  • des emplois journaliers (environ 30-70 LE/j soit 3,3-7,6 €) dans le bâtiment ou les travaux agricoles, souvent occupés par les jeunes hommes ; cette source de revenus est irrégulière et faiblement rémunérée (600 à 1 200 LE/mois soit 65,5-131 €).

Adaptation des exploitations à la pression d’urbanisation

L’activité agricole de la zone du Caire est menacée par la conversion, pourtant interdite par la loi, des terres agricoles en terrains bâtis. La crise du logement est telle qu’elle oblige les ménages des classes les plus populaires à se tourner vers des promoteurs immobiliers « informels » qui construisent sans permis sur les terres agricoles (Fahmi et Sutton, 2008). Le phénomène se serait accru, d’après les agriculteurs rencontrés, depuis le début de la Révolution, en janvier 2011, notamment suite à l’absence de contrôle. Pour les jeunes ménages, ces habitations représentent une opportunité pour quitter les maisons familiales souvent bondées.

Les exploitations familiales d’agro-éleveurs sont impactées de deux façons. Dans le cas où la famille possède des terres, l’explosion du prix du foncier, alors que la fertilité des sols diminue, incite le chef de famille à délaisser son activité agricole et soit vendre tout ou partie de sa terre, soit construire un immeuble (s’il dispose de capitaux) en prévision de l’installation de ses enfants, ou éventuellement pour la location. Dans le cas où l’exploitant est locataire des terres, si le propriétaire vend, la famille perd son outil de travail sans augmenter son capital financier et sans dédommagement. Le passage de la durée des contrats de décennale à annuelle a considérablement accru la vulnérabilité des locataires.

Une fois privé de parcelles cultivables, l’exploitant peut :

  • soit quitter complètement l’activité agricole pour rechercher un emploi salarié ou ouvrir un petit commerce rendu possible par la vente de la parcelle (mais cette option est exclue pour les locataires) ;

  • soit maintenir une production animale hors-sol. Privé de terre, l’élevage se pratique dans une étable au rez-de-chaussée d’un immeuble (souvent le domicile familial). La finalité est d’abord commerciale de par la nécessité de payer les charges en aliment du bétail et de faire subsister la famille. Les nouvelles contraintes sont propres au milieu urbain et à l’élevage hors-sol, c’est-à-dire l’achat et l’approvisionnement en fourrages, les problèmes sanitaires liés à la claustration permanente, etc. L’évacuation du fumier hors de la ville représente, à l’heure actuelle, une contrainte pour ces éleveurs. En effet, les producteurs ne retirent que très rarement un bénéfice de leur production de fumier. Des marchands viennent collecter, sans rémunération, les fumures animales avant d’aller les vendre à l’extérieur de la ville. Les familles disposant d’un capital financier moindre, ont souvent des difficultés à assumer cette reconversion en hors-sol ;

  • soit réinvestir dans une autre parcelle à plus grande distance du Caire ; ceci n’est que rarement envisageable du fait de l’extrême pression foncière dans le delta et des rares terres agricoles mises en vente. En outre, les familles sont enracinées dans leurs lieux de vie et, pour elles, il est difficilement envisageable de quitter le domicile familial et, par là même, les réseaux sociaux et familiaux, gages de sécurité. Ceci explique en partie les réticences de ces familles à investir les fronts pionniers agricoles que représentent les nouvelles terres aménagées sur le désert.

Durabilité

Ces systèmes agricoles présentent de nombreux avantages en termes de développement durable, car ils assurent sécurité alimentaire et emploi aux familles en milieux urbains ou périurbains. L’exploitation assure, au minimum, l’emploi de deux actifs (le chef d’exploitation et sa femme) en raison des pratiques et techniques utilisées requérant une main-d’œuvre importante, ce qui constitue un atout dans le contexte égyptien de forte prévalence du chômage. Cependant, cette activité agricole n’assure que rarement un emploi à plein-temps aux jeunes hommes, qui n’ont d’autre choix que de chercher du travail à l’extérieur et ainsi compléter les revenus familiaux.

Ces exploitations sont faiblement polluantes et leur impact sur la ressource en eau reste limité, bien que les impacts environnementaux puissent être réduits par des adaptations techniques. On peut questionner notamment la balance azotée avec l’utilisation de plus en plus importante d’intrants chimiques, en particulier l’urée, qui viennent compléter la fumure animale et la culture du trèfle d’Alexandrie (légumineuse). Enfin, le taux de matière organique dans ces sols cultivés de manière très intensive depuis plusieurs siècles, mais sans bénéficier depuis un demi-siècle des crues du Nil, pourrait aussi être menacé, même s’il est maintenu entre autres par la fumure animale. Ces terres agricoles, incluses dans la maille urbaine ou périurbaine, permettent à la ville du Caire de conserver quelques espaces de verdure et de nature ; ils constituent le poumon vert de la mégapole.

Perspective dans le cadre territorial et des politiques publiques

D’après les entretiens avec les acteurs locaux et les éleveurs, il semblerait que le nombre de ces exploitations se soit réduit au cours des dernières décennies, en raison notamment de la pression urbaine et de l’émiettement des capitaux entre membres d’une même famille. La transmission intergénérationnelle entraîne une fragmentation des patrimoines et capitaux agricoles, ce qui constitue un obstacle à la pérennité des exploitations. En outre, bien que le prestige social de l’activité agricole soit important, le métier est aujourd’hui peu attractif pour les jeunes générations et rares sont ceux qui se tournent vers ces métiers.

Pourtant, ces systèmes agricoles familiaux représentent de nombreux atouts pour la ville du Caire : sécurité alimentaire des producteurs et de la ville, création d’emplois, espaces verts, savoir-faire, etc. Jusqu’à présent, les politiques nationales semblent considérer comme inéluctable la disparition des terres agricoles autour du Caire et dans le delta. L’option privilégiée par l’État est la conversion du désert en terres arables grâce à l’irrigation. Si des politiques publiques tentent d’attirer des populations pour y développer une activité d’agriculture familiale, la majorité de ces nouvelles terres sont exploitées par des entreprises agricoles à large échelle avec une forte composante de production à l’export. Si ces exploitations contribuent à alimenter le marché national, l’objectif d’autosuffisance alimentaire est encore éloigné.

Le Caire et ses habitants, l’État et les collectivités locales ont-ils un intérêt à maintenir cette activité agricole dans la mégapole et sa périphérie ? Si la réponse est affirmative, alors leur maintien passe peut-être par leur prise en compte dans les réseaux locaux qui structurent la société égyptienne (autorités publiques locales, représentants des autorités religieuses, des familles les plus influentes, agriculteurs…). L’intervention de ces acteurs permettrait de limiter et d’orienter l’expansion des constructions informelles sur les terres agricoles mieux que des arrêtés nationaux, éloignés des réalités de ces quartiers. La promotion par l’État d’organisations de producteurs semble également une voie importante afin qu’elles soient à même de faire entendre leurs voix dans les projets futurs de développement de la ville. Enfin, la valorisation des connaissances et du travail des femmes (Gowayed, 2011), à travers la transformation de la production, représente un des défis majeurs pour pérenniser l’activité agricole au Caire.

L’intégration aux marchés internationaux pour les exploitations familiales cotonnières au Mali

Mamy Soumaré, Jean-François Bélières, Michel Passouant, Moumouni Sidibé

Le coton a souvent été qualifié « d’or blanc » et de moteur du développement des zones rurales ouest-africaines (Bichat, 2006) devenant emblématique de la réussite des programmes publics d’appui à l’agriculture familiale et au développement rural (Hugon, 2005a ; Hussein et al., 2005 ; Tschirley et al., 2009). Au Mali, les politiques menées ont fortement impacté les exploitations agricoles et le coton a pris une place importante parmi les moyens d’existence des familles. Ce produit étant presque totalement exporté sous forme de fibre, les exploitations se sont ainsi retrouvées fortement intégrées au marché international et quand les prix ont chuté, au milieu des années 2000, elles ont dû faire face à la « crise cotonnière », puisant leurs capacités de résistance notamment dans le caractère familial de leur activité agricole.

Ce chapitre décrit l’agriculture familiale de la zone cotonnière du Mali et ses mutations. Les données utilisées sont issues : du dispositif de suivi et d’évaluation de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) qui produit les statistiques de la filière et des données sur les exploitations agricoles ; du recensement de l’agriculture en 2004 (CPS, 2008) et d’enquêtes réalisées par l’Institut d’économie rurale, dont notamment les travaux de Samaké et al. (2008) et Bélières et al. (2012).

Coton et développement rural dans le sud du Mali

Politiques publiques et dynamique sectorielle

Dans le sud du Mali, les politiques de développement rural ont été centrées sur la production cotonnière avec une intégration verticale de la filière autour d’une société d’économie mixte (la CMDT) qui garantissait prix et débouchés aux producteurs. Le système coton, c’est aussi un crédit agricole de masse, l’alphabétisation et le renforcement des capacités des producteurs, la création de routes et de pistes, la réalisation d’infrastructures communautaires et l’organisation du monde rural avec la création d’associations puis de coopératives. La CMDT investissait, en mobilisant une partie conséquente de l’aide publique au développement, dans les infrastructures (usines de transformation, routes et pistes, etc.) et dans l’organisation socio-économique de la filière avec la volonté d’entraîner tous les exploitants agricoles des zones concernées (Fok, 1994 ; Fok et Raymond, 1995 ; Fok et Tazi, 2003 ; Hugon, 2005b).

Un encadrement rapproché des producteurs, des programmes de vulgarisation adaptés aux différents types d’exploitations agricoles[15] et l’extension de la zone d’intervention de la CMDT (Bidou et al., 2013) ont permis une croissance rapide de la production par augmentation du nombre des exploitations agricoles et de la superficie moyenne cultivée par exploitation (Djouara et al., 2006). Cette augmentation est aussi la résultante d’une croissance démographique élevée avec des exploitations agricoles qui se sont multipliées et des actifs agricoles toujours plus nombreux.

Les années de forte croissance de la production (1984-2004) laissaient entrevoir la réussite d’un modèle de développement qui, très inclusif, devait contribuer à réduire la pauvreté et entraîner les économies locales dans un cycle vertueux de croissance économique et sociale. Mais c’était sans compter sur les revirements des marchés internationaux et la crise survenue au milieu des années 2000 qui a durement frappé ce sous-secteur (Benoit-Cattin et al., 2005 ; Nubukpo et Keita, 2005). Les études ont montré que, malgré la forte croissance de la production, la pauvreté et la malnutrition restaient très importantes, avec dans la région de Sikasso, emblématique de la production cotonnière, une plus grande pauvreté que dans les autres zones rurales du Mali (DNSI, 2003 ; Mesplé-Somps et al., 2008 ; Dury et Bocoum, 2012). Les analyses ont relevé l’insuffisance d’un système centré sur un objectif d’augmentation de la production cotonnière, au détriment d’une amélioration des productivités de la terre et du travail dans les exploitations agricoles (Droy et al., 2012). Mais aussi les erreurs et dérives dans la gestion de la filière qui sont venues « compromettre » une organisation pourtant jugée efficace quelques années auparavant (Hugon, 2005b), avec des interférences politiques complexes qui relèvent de « l’improvisation économique » (Nubukpo, 2011).

Au cœur de cette croissance agricole, les exploitations agricoles familiales ont fait la preuve de leurs capacités à répondre aux incitations économiques (Deveze et Halley des Fontaines, 2006 ; Dufumier et Bainville, 2006). Avec la crise, l’État a pris des mesures de soutien, malgré ses faibles moyens budgétaires, et une étude de la FAO portant sur la période 2005-2010 conclut que « le système en place soutient fortement la production par des incitations très claires et élevées aux producteurs » (Balié, 2012). Mais, en final, ce sont les exploitations familiales qui ont dû faire face à la baisse du prix du coton graine, montrant leur capacité de résilience (Droy et Bidou, 2010) en grande partie liée à leur caractère familial.

La zone cotonnière

La zone cotonnière couvre un vaste territoire au sud du Mali qui comprend la région administrative de Sikasso et une part importante des régions de Ségou, Koulikoro et Kayes sur environ 150 000 km2. Cette zone est sous encadrement agricole de la CMDT et de l’Office de la haute vallée du Niger (OHVN) depuis les années 1970.

La diversité agro-écologique de la zone est liée à une pluviométrie annuelle moyenne qui s’échelonne entre 700 et 1 400 mm. Le principal système de production est pluvial avec céréales, coton et élevage ; mais il existe une grande diversité avec des productions agricoles complémentaires nombreuses qui vont des tubercules aux arbres fruitiers et aussi des activités non agricoles (Dufumier, 2005 ; Soumaré, 2006). Dans ce chapitre, en fonction des données disponibles, nous traiterons de l’ensemble de la zone cotonnière ou d’une zone plus restreinte et plus homogène qui correspond au cercle de Koutiala dans ce que l’on appelle le vieux bassin cotonnier, berceau du développement de cette culture pluviale au Mali (figure 3.1).

Figure 3.1. Carte de localisation de la zone cotonnière au Mali.

La zone a connu, selon les termes de Dufumier et Bainville, « une véritable révolution agricole avec le passage de l’agriculture sur abattis-brûlis à la culture continue », en lien avec la vulgarisation de la traction animale, la production et l’utilisation de la fumure organique, mais aussi avec le recours aux engrais chimiques (Dufumier et Bainville, 2006).

La production de coton graine a régulièrement augmenté de 1960 à 2004, si l’on excepte la forte baisse de l’année 2000, liée à un mouvement syndical paysan (« la grève des semis ») pour protester contre la baisse du prix du coton décidée unilatéralement par le CMDT la campagne précédente (en lien avec la baisse du prix sur le marché international).

Figure 3.2. Superficies cultivées en cotonnier et production de coton graine. Source : Données CMDT. En abscisse, les campagnes agricoles ; * estimations.

Figure 3.3. Rendement de coton graine. Source : Données CMDT et traitement des auteurs.

Les rendements moyens en coton ont progressé jusqu’à la fin des années 1980, jusqu’à dépasser 1,2 t/ha. La productivité a baissé par la suite en même temps que la forte croissance de la production et stagne en dessous de 1 t/ha (figure 3.2). La crise, qui a débuté au milieu des années 2000, a été forte et brutale avec une production qui a chuté passant de plus de 600 000 tonnes en 2003-2004 à environ 200 000 tonnes en 2008-2009. Durant cette période de faibles superficies cultivées, les rendements n’ont pas augmenté. Le nombre d’exploitations produisant du coton a suivi ces évolutions passant d’environ 100 000 en 1990-1991 jusqu’à près de 200 000 en 2004-2005. La chute de la production, qui a été divisée par 3 entre 2003 et 2008, traduit le fait que de nombreuses exploitations ont arrêté de produire du cotonnier (le nombre d’exploitations a été divisé par 2,3) et que celles qui ont poursuivi la culture ont réduit les superficies.

Les exploitations agricoles familiales du Mali et de la zone cotonnière

Jusqu’à la loi d’orientation agricole (République du Mali, 2006), le modèle de production agricole promu à travers les politiques de développement était rarement explicité, les textes faisant le plus souvent référence aux « producteurs ». Cette loi fait référence à deux types d’exploitations : l’exploitation agricole familiale (EAF) et l’entreprise agricole. Cette reconnaissance de l’agriculture familiale ne s’est pas encore traduite par des mesures spécifiques, à l’exception de leur enregistrement dans la perspective d’un ciblage des appuis et aides publiques (Bélières, 2014).

Au Mali, comme dans la zone cotonnière, l’agriculture est presque exclusivement familiale (voir notamment Gastellu, 1980 ; Benoit-Cattin et Faye, 1982 ; Lamarche, 1994 ; Bélières et al., 2013 ; Sourisseau, 2014) avec un recours presque exclusif au travail familial et un lien organique entre activités économiques et structure familiale. Les données du recensement agricole de 2004 (CPS, 2008) confirment cette prédominance de l’agriculture familiale avec seulement 7,7 % des exploitations qui auraient au moins un salarié permanent et 1 % des exploitations qui auraient 10 salariés et plus (Bélières et al., 2012). La figure 3.4 compare les caractéristiques moyennes des exploitations de la zone cotonnière et des autres zones du Mali par rapport à la moyenne nationale. Les différences sont prononcées. Ainsi, l’exploitation de la zone cotonnière a de plus grandes superficies en valeur absolue, mais aussi en valeur relative (superficie cultivée par personne). Les écarts les plus importants concernent les cultures industrielles et les tubercules qui sont très faibles dans les autres zones et qui caractérisent la zone cotonnière.

Figure 3.4. Caractéristiques moyennes des exploitations de la zone cotonnière et du reste du Mali en 2004. Sources : Données du RGA 2004 et traitement des auteurs.

L’exploitation de la zone cotonnière se distingue également par le cheptel possédé, l’équipement et les pratiques agricoles, mais aussi le nombre de personnes, de ménages et d’actifs. Les hommes sont mieux formés (alphabétisation et cycle fondamental), mais pas pour les formations secondaires et plus. Enfin, l’accès au crédit et l’appartenance à une organisation paysanne sont particulièrement développés dans la zone cotonnière. Ces caractéristiques indiquent des capacités productives supérieures par rapport au reste du Mali avec des capitaux plus importants. Ces différences sont à mettre, au moins en partie, au crédit des politiques menées pour le développement de la production cotonnière, notamment en ce qui concerne le capital physique (équipement) et le capital social (organisations paysannes et technicité de production agricole).

Les exploitations familiales de la zone coton en utilisant le cadre SRL

Les capitaux disponibles

Selon le cadre SRL (Scoones, 1998), les capitaux doivent être analysés en relation avec l’environnement des exploitations et en particulier avec le contexte institutionnel (institutions, organisations coutumières et « modernes ») qui régente l’accès aux ressources. Les capacités productives peuvent être renforcées ou au contraire limitées selon l’organisation des marchés et filières, les règles d’accès au foncier et aux ressources naturelles, l’organisation sociale, etc.

Capital naturel

Le système foncier repose sur une gestion coutumière avec des terres cultivées fortement appropriées par les exploitations et des terres sylvo-pastorales en gestion collective.

Dans les terroirs saturés, toutes les terres cultivables sont réparties entre les familles. Les jachères existent encore, mais sont de très petite taille et de courte durée (en moyenne 6,72 % des superficies et seulement 30 % des exploitations en ont). Les terres cultivées sont héritées (les femmes ne sont pas concernées[16]). Il n’y a pas de marché foncier, les terres ne se vendent pas, mais se prêtent ou s’empruntent sans qu’il y ait de réelle contrepartie (monétaire ou en nature) le plus souvent sur la base de relations familiales, mais aussi au-delà sur la base du maintien de bonnes relations sociales au sein de la communauté. Cependant, avec la pression foncière, les solidarités se réduisent, le village n’accueille plus de migrants, les prêts gratuits perdurent, mais la durée d’attribution est réduite pour éviter que le bénéficiaire puisse s’installer, la marchandisation apparaît (location, métayage).

Les terres non cultivées constituent les parcours pour les animaux et des zones de prélèvement ; toutes les exploitations y ont accès. Avec l’extension des superficies cultivées et l’augmentation du nombre d’animaux, les communs sont souvent surexploités. L’espace est saturé avec peu de possibilités d’extension de la superficie cultivée et des communs dont la capacité de charge est faible par rapport au cheptel du village et aux transhumants de passage. La superficie cultivée en pluvial peut apparaître élevée avec 10,64 ha en moyenne par exploitation (coefficient de variation CV = 52 %), mais elle doit être rapportée à la taille de la famille et au nombre d’actifs familiaux (1,68 ha/actif, CV = 46 %). Par ailleurs, toutes les terres ne se valent pas ; la qualité et la fertilité des sols sont des éléments importants de la capacité productive.

Des arbres sont conservés dans les champs au moment de la défriche (karités, nérés, baobabs, etc.), tous utiles pour les besoins de la famille (alimentation, fabrication de biens, pharmacopée, etc.), mais leur nombre diminue avec la culture permanente (Cissé et al., 2007).

C’est le chef d’exploitation qui gère le foncier et la production de la plus grande partie de la superficie constituée de champs communs cultivés pour la consommation de toute la famille. Quelques champs sont attribués à des femmes ou chefs de ménages dépendants à titre individuel ; les produits sont gérés par le bénéficiaire. La pression foncière et le développement du coton ont été des facteurs de réduction de ces superficies gérées par des membres dépendants, avec des chefs d’exploitation qui ont eu tendance à regrouper le maximum de terre sous leur autorité.

Capital physique

Les actions de développement ont porté sur la traction animale et l’équipement ; 77 % des exploitations ont au moins un attelage bovin pour le travail du sol et 72 % ont un attelage pour le transport (âne + charrette asine). Les matériels de culture en traction animale sont nombreux (charrue, multiculteur, semoir), mais beaucoup datent des années 1970 et 1980, avec une valeur[17] réduite associée à une forte variabilité entre chaque exploitation (CV = 113 %).

L’élevage est généralisé, avec au moins un animal par exploitation. La structure du troupeau est marquée par la présence des bœufs de trait : neuf bovins en moyenne avec près de trois bœufs de trait par exploitation (mais des variations importantes : CV de 113 % pour les bœufs de trait et 331 % pour le nombre total de bovins). Les autres animaux sont les petits ruminants, la volaille et les ânes. La possession d’animaux est guidée d’abord par le besoin en force de traction. Parmi les bovins, la part des vaches est relativement faible, ce qui traduit un potentiel d’exploitation (croît naturel du troupeau et production de lait) limité. Les animaux pourraient aussi être classés dans le capital financier du cadre SRL, car ils constituent souvent l’épargne de l’exploitation. Le capital qu’ils représentent a été estimé en 2007 à près de 1,2 million de francs CFA par exploitation agricole[18], soit nettement supérieur au capital en équipements agricoles, et même au capital en biens durables du ménage (hors maison d’habitation).

Dans ce capital physique, il faudrait inclure les plantations et améliorations foncières qui constituent souvent un investissement important réalisé pour la plus grande part avec du travail familial. Les vergers sont peu nombreux et représentent 0,12 ha en moyenne par EAF (avec seulement 18 % des EAF qui ont un verger) et les plantations forestières sont extrêmement rares (3 exploitations sur 153 qui ont une petite plantation d’eucalyptus). Il n’y a quasiment pas de culture irriguée. Par contre, les aménagements de type conservation des eaux et du sol (aménagements antiérosifs, digue, haie, etc.) ne sont pas rares et viennent renforcer le capital naturel.

Capital humain

Le nombre moyen de personnes par exploitation est de 15 (CV = 49 %), avec 7 personnes qui ont entre 15 et 64 ans, c’est-à-dire en âge d’être actifs. En réalité, le nombre de personnes qui participent réellement aux activités productives agricoles est plus élevé, car les jeunes adolescents et les personnes âgées contribuent à de nombreuses tâches. En contrepartie du travail, les membres de la famille sont assurés de la prise en charge des besoins de consommation et de disposer de droits et avantages à plus long terme vis-à-vis de la propriété familiale lors des successions.

Le niveau d’éducation des chefs d’exploitations est faible : 87 % des chefs d’exploitation n’ont pas été scolarisés, mais 37 % se disent alphabétisés. Les efforts de scolarisation en zone rurale sont relativement récents et seuls les plus jeunes en bénéficient. Les formations professionnelles sont rares. Pour les activités artisanales traditionnelles, la société est fondée sur une spécialisation des tâches avec l’appartenance à une caste et un apprentissage familial. Pour les activités non agricoles plus « modernes » (mécanicien, vulcanisateur, commerce, tailleur, tresseuse, restauration, etc.), elles sont souvent liées à une expérience ou un apprentissage hors du village (migration plus ou moins longue en ville).

Les chefs d’exploitation sont presque exclusivement des hommes. Les rares femmes chefs d’exploitation sont en général des veuves. Le recours à la main-d’œuvre extérieure est généralisé, sous forme d’entraide (59 % des EAF) ou de salariat (74 % des EAF, essentiellement de manière temporaire pour faire face aux pointes de travail comme la récolte et le désherbage). Seulement 5 % des exploitations emploient des salariés à l’année, essentiellement des bouviers pour garder le troupeau.

Capital social

Le capital social est un élément essentiel de la production agricole avec l’adhésion à une organisation de producteurs pour accéder aux crédits de campagne, aux intrants, au conseil agricole et pour commercialiser le coton. En 2007, seules 4 % des EAF déclaraient ne pas appartenir à une organisation professionnelle.

Au-delà des organisations « modernes » de producteurs mises en place sous l’impulsion des sociétés de développement perdure l’organisation traditionnelle du village avec des groupements (les « tons ») selon les classes d’âges et le genre (ton des jeunes, ton des femmes) et des activités spécifiques qui leur sont dévolues (Bélières et al., 2008). Les exploitations familiales dépendent d’un réseau social composé de parents plus ou moins éloignés géographiquement, ou par les liens de mariage, à travers lequel un soutien mutuel est assuré.

Il en est de même pour l’accès au foncier avec des règles lignagères qui font que les familles autochtones (qui descendent des premières familles qui ont défriché pour s’installer) ont le plus souvent accès aux meilleures terres, les derniers arrivants ayant eux accès à des terres moins fertiles.

Capital financier

L’accès au crédit agricole est généralisé, le crédit de campagne pour l’approvisionnement en intrants faisant partie du système coton. C’est d’ailleurs une des raisons qui poussent certaines exploitations à faire du coton. La CMDT assure l’approvisionnement en intrants, à crédit, des producteurs en profitant de son organisation pour identifier la demande puis distribuer les intrants en même temps que l’enlèvement du coton. Ce dispositif a permis la généralisation de l’utilisation des intrants à des prix le plus souvent compétitifs (commandes importantes sur le marché international et coût de distribution relativement faibles).

Système d’activités et performances

Les productions végétales constituent l’ossature principale des systèmes d’activités, avec le coton pour les revenus monétaires et les autres cultures pour l’autoconsommation et une commercialisation des surplus (figure 3.5).

Figure 3.5. Superficies cultivées et produit brut des cultures par exploitation en 2007.

Les céréales occupent 70 % de la superficie et 62 % du produit brut, traduisant un objectif de sécurité céréalière, plus d’ailleurs que de sécurité alimentaire. En 2007, malgré la baisse des prix, le coton occupe toujours 20 % des superficies. Les légumineuses (essentiellement l’arachide) sont cultivées sur 7 % des superficies et le reste de la surface est occupé par des cultures diverses : sésame, soja, légumes, etc. Coton et maïs occupent une place plus importante dans le produit brut, avec près de 42 % de la valeur totale des productions végétales. Les exploitations vendent la totalité du coton et les autres produits sont faiblement commercialisés : 14 % des EAF ne vendent aucun produit agricole, seulement 3 % des EAF commercialisent plus de 75 % de leur produit brut agricole et, en moyenne, les EAF commercialisent seulement 46 % du produit brut agricole, le reste est autoconsommé ou fait partie des dons ou échanges non marchands.

Les activités non agricoles sont nombreuses, mais impactent faiblement les revenus. Les opportunités de travail salarié sont rares avec seulement 4 % des exploitations ayant au moins un membre qui perçoit un salaire. Les activités non agricoles les plus répandues sont le commerce, l’artisanat et autres services pratiqués de manière régulière ou irrégulière dans le village ou hors du village, mais en dehors d’une migration saisonnière. Les revenus issus de ces activités d’auto-emploi (figure 3.6) sont très variables et, surtout, dans l’ensemble, très faibles, même si elles concernent un nombre important d’exploitations (44 %) avec en moyenne près de trois personnes impliquées.

La migration de longue durée est rare ; par contre, les migrations saisonnières sont courantes avec des jeunes qui partent en ville en saison sèche pour gagner quelques revenus (figure 3.6).

La structure du revenu moyen (en moyenne 1 million de francs CFA par exploitation qui intègre la valorisation de la production autoconsommée) reflète le système d’activités ; elle est présentée dans la figure 3.6.

Figure 3.6. Structure du revenu moyen des exploitations par quintile (en revenu par équivalent adulte) en 2007.

Le nombre d’équivalent adulte (EqA) est fondé sur les besoins nutritionnels des individus et donne des poids différents aux personnes selon leur âge.

Les revenus sont à plus de 70 % issus des productions végétales, pourtant les rendements et la productivité du travail sont faibles d’où l’importance du capital naturel (superficies disponibles), du capital physique (équipements) et du capital humain (main-d’œuvre familiale) pour le mettre en valeur. La faible part des revenus d’élevage confirme l’importance du cheptel pour la traction et comme épargne, mais peu comme source de revenus. Les revenus agricoles au sens large représentent en moyenne 87 % du revenu des exploitations, ce qui les rend très dépendantes des activités agricoles. Les exploitations les plus pauvres (quintile 1) et les plus aisées (quintile 5) sont un peu plus diversifiées. Pour les plus pauvres (en moyenne 250 000 F CFA/an par exploitation), la diversification est liée à l’exploitation de ressources naturelles en accès libre sur les communs et la transformation des produits de cueillette ; une diversification qui rapporte peu. À l’autre extrémité, le quintile 5 (en moyenne 1,6 million F CFA/an par exploitation) est aussi plus diversifié, mais avec des revenus issus de l’auto-emploi (activités de commerce, artisanale et de service) plus rémunérateur et qui mobilisent des capitaux plus importants.

Les performances du système sont globalement faibles, avec des revenus moyens par personne très nettement inférieurs à la ligne de pauvreté du Mali. Seules 9 % des exploitations avaient un revenu par personne supérieur au seuil global de pauvreté (157 920 F CFA par personne ; ODHD, 2007). Ces exploitations cumulent 23 % du revenu total avec en moyenne 241 000 F CFA par personne.

Les capitaux mobilisés selon le type d’activité

Les capitaux mobilisés pour les activités agricoles et non agricoles en rapport avec la performance mesurée par le revenu sont représentés en figure 3.7 avec une échelle de 1 à 5 et des notes attribuées selon la perception des auteurs et leur connaissance de ce type d’agriculture.

Figure 3.7. Mobilisation des capitaux pour les activités agricoles et non agricoles.

Capitaux mobilisés pour l’agriculture.

Capitaux mobilisés hors agriculture.

Les capitaux sont essentiellement mobilisés pour la production agricole au sens large. Le capital naturel est le plus important avec la superficie disponible par personne (relation linéaire positive significative entre superficie disponible et revenu moyen par personne : +0,3) et la qualité des sols, qui déterminent grandement la productivité, mais aussi avec l’accès aux ressources naturelles communes pour les exploitations les plus vulnérables qui complètent ainsi les revenus des cultures. Cette importance du capital naturel est valable pour l’ensemble du sud du Mali où l’augmentation de la production agricole s’est faite essentiellement par extension des superficies cultivées, les rendements progressant très peu sauf pour le riz avec l’aménagement de périmètres irrigués et le maïs avec l’intensification de la production.

Le capital physique, avec notamment l’équipement agricole qui permet la mise en valeur des terres, est lui aussi important (coefficient de corrélation positif entre le nombre d’attelage et le revenu par personne), mais avec un cheptel plus productif, ce capital pourrait occuper une place plus importante (pas de corrélation entre animaux et revenu moyen par personne). La main-d’œuvre familiale et le capital financier avec l’accès au crédit et aux intrants sont eux aussi largement mis à contribution (il existe une corrélation positive entre le revenu par personne et les charges moyennes par hectare constituées essentiellement par les intrants). Enfin, le capital social est important, mais largement partagé, avec l’adhésion à une organisation paysanne presque systématique et avec l’accès au financement et intrants qui en découlent.

Les activités non agricoles sont nettement moins importantes et donc les capitaux moins mobilisés. C’est le capital humain, avec la formation et le savoir-faire des individus, qui est le plus mobilisé avec, dans une moindre mesure, les capitaux physiques (biens durables pour mener certaines activités artisanales ou de transport) et financiers (financement du fonds de roulement pour les activités artisanales ou de commerce).

Les exploitations ont développé des stratégies essentiellement agricoles dans un environnement institutionnel modelé pour accroître la production de la culture de rente. Les investissements sont restés centrés sur les capitaux de la production agricole. Les chefs d’exploitation ont intensifié la culture du maïs pour libérer des terres céréalières pour la culture du coton tout en assurant la sécurité alimentaire de la famille, socle de la solidarité entre les membres. La culture du coton n’a pas été intensifiée, sa faible productivité étant en partie compensée par l’augmentation des superficies. Les revenus monétaires sont restés relativement faibles et n’ont pas permis le développement d’autres activités. Les économies locales sont ainsi restées spécialisées avec peu de produits agricoles marchands en dehors du coton et des activités non agricoles réduites n’offrant que très peu d’opportunités de revenu.

Évolution des exploitations et de leur caractère familial

Les exploitations agricoles familiales ont subi la crise cotonnière avec une baisse brutale du prix du coton graine passant de 210 F CFA/kg en 2004-2005 à 160 F CFA/kg en 2006, dans un environnement dégradé avec la hausse du prix des intrants, la désorganisation du système de crédit liée à l’importance des impayés et à leur impact à travers la caution solidaire, etc. Les exploitations ont dû faire face et ont été contraintes de s’adapter en modifiant leurs stratégies aussi bien en ce qui concerne les activités agricoles et non agricoles que la consommation familiale. C’est bien souvent le caractère familial qui leur confère une réelle capacité de résistance face à un choc de cette ampleur.

Centralisation de la gestion des moyens de production et des revenus

Les moyens de production agricoles et non agricoles sont sous la responsabilité du chef de l’exploitation, également chef de famille, qui organise les activités en fonction des opportunités qu’offre l’environnement. Son objectif est d’abord d’assurer la sécurité alimentaire de la famille et notamment la sécurité céréalière à partir de la production sur les champs communs. Les stratégies de mobilisation des capitaux ne visent donc pas systématiquement la recherche des meilleurs revenus monétaires ; il faut d’abord, remplir les greniers. Ainsi, même durant les périodes de prix du coton élevé, les logiques de production sont restées en partie non marchandes avec comme objectif premier de produire pour satisfaire les besoins alimentaires de la famille ; les productions vivrières sont prépondérantes dans l’assolement.

Avec la chute des prix du coton et les difficultés d’accéder aux intrants, de nombreuses exploitations ont réduit, voire supprimé la production de coton, augmenté la superficie en légumineuses (notamment arachide), diminué les superficies en maïs plus exigeant en intrants et augmenté les superficies en mil ou sorgho qui le sont moins. Dans d’autres cas, au contraire, quelques exploitations parmi les mieux dotées ont augmenté la superficie en maïs avec des perspectives de revenu monétaire.

La gestion des moyens de production est fortement centralisée, et ceci d’autant plus que l’exploitation est petite et que les terroirs sont saturés (faible disponibilité en terre pour les champs individuels). Les chefs d’exploitation gèrent la quasi-totalité du foncier cultivé, les champs individuels sont peu nombreux. La crise du coton et la baisse des superficies en coton dans les exploitations se sont quelquefois traduites par une décentralisation de la gestion avec une augmentation des champs individuels ; le chef d’exploitation permettant à ses dépendants (épouses, chefs de ménage) de cultiver plus. Ceci a souvent entraîné une diversification des productions et notamment l’augmentation des superficies en légumineuses ou autres cultures comme le sésame. Mais dans bien des cas la crise a renforcé le caractère centralisé, le chef d’exploitation mobilisant le plus de capitaux possibles pour compenser la perte de revenus monétaires.

La gestion des revenus est également fortement centralisée au niveau du chef d’exploitation qui gère à la fois les produits des activités communes (champs ou troupeau de l’exploitation), ceux de ses activités à titre individuel, mais aussi dans la plupart des cas une partie des revenus des activités individuelles des membres de l’exploitation, en particulier si ces activités empiètent sur le travail à faire sur les champs collectifs. Ainsi, si l’exploitation est de grande taille démographique, le chef gère des revenus relativement importants en valeur absolue, même si ramené par personne ils restent modestes. Le chef d’exploitation est censé gérer au mieux, en bon père de famille, pour assurer le bien-être de tous les membres de la famille. Les autres adultes sont cependant très dépendants de ses décisions. Quand la situation est favorable avec des activités agricoles suffisamment productives pour dégager à la fois les besoins alimentaires et des revenus pour faire face aux autres dépenses de consommation, la cohésion du couple exploitation/famille est plus facile à maintenir. Mais quand la situation se dégrade, avec moins de ressources, comme avec la baisse du prix du coton, la cohésion est plus difficile à maintenir et les chefs de ménages dépendants peuvent être tentés de prendre leur autonomie. La crise du coton devrait être un élément accélérateur de l’éclatement des grandes familles.

Réorientation du système d’activités et retour à une plus grande autonomie

Les conditions climatiques limitent la production à une seule culture pluviale dans l’année, ainsi l’assolement décidé pour la saison des pluies va en général répondre à l’objectif d’autosuffisance céréalière. Mais les stratégies sont aussi fonctions des ressources et capacités productives dont dispose l’exploitation (les cinq capitaux du cadre SRL) avec des adaptations quand celles-ci sont insuffisantes. Par ailleurs, avec la monétarisation de l’économie et le développement des échanges marchands, certaines exploitations adoptent des stratégies plus complexes avec des activités génératrices de revenus réutilisés pour satisfaire les besoins de consommation alimentaire. Ceci est particulièrement vrai pour les exploitations structurellement déficitaires en céréales qui cherchent des revenus monétaires dans des activités agricoles au sens large (petit élevage, exploitation et commercialisation de ressources naturelles comme le bois, les produits de cueillette, etc.) ou hors agriculture.

En cas de difficulté, le chef d’exploitation peut provoquer une réorientation du système d’activités en mobilisant certains capitaux pour de nouvelles activités ou en modifiant l’équilibre entre capitaux. Le cas le plus fréquent est le départ en migration, pendant la saison sèche qui réduit le nombre de bouches à nourrir sur le grenier collectif. Les départs, notamment pour des migrations longues, peuvent se faire en mobilisant de l’épargne de la famille ou en décapitalisant des facteurs de production agricole, avec un objectif de diversification des revenus de l’exploitation en misant sur les transferts monétaires du migrant.

Avec la crise du coton, il y a, par force, un retour à des systèmes d’activités plus autonomes économiquement avec le renforcement des productions destinées à l’autoconsommation et une réduction, de fait, de la dépendance aux marchés amont et aval. Toutefois, les adaptations observées montrent aussi la recherche d’alternatives marchandes pour remplacer le coton (arachide, sésame, etc.). Les évolutions ne sont donc pas univoques.

Fongibilité des capitaux de l’exploitation et de la famille et décapitalisation

La fongibilité des capitaux entre production agricole et famille est un élément important de la résilience de ces unités. Le chef d’exploitation va décapitaliser pour faire face aux besoins de consommation de la famille. Avec la baisse des revenus du coton, nombreux sont les chefs d’exploitations qui ont revendu des biens durables acquis pendant les bonnes années agricoles, en particulier des motos. Mais d’autres ont dû vendre des capitaux utilisés pour la production agricole (animaux, équipements) pour subvenir aux besoins de la famille. Cette décapitalisation peut avoir des conséquences majeures sur l’organisation du travail et sur les capacités productives de l’exploitation. La vente des bœufs de labour, par exemple, va ainsi amputer l’exploitation de sa force de traction, mais aussi d’une source de fumure organique, réduisant à la fois sa capacité de production et ses performances. Il sera difficile à cette exploitation de sortir de la trappe à pauvreté sans un environnement institutionnel favorisant l’investissement. La reproduction de l’exploitation peut s’en trouver compromise.

Consommation

L’élément le plus important est certainement le lien entre production et consommation. Le chef de famille peut mobiliser le travail des actifs familiaux tout en restreignant la consommation de l’ensemble de la famille et en particulier en limitant les dépenses sociales avec par exemple un report des mariages à une période plus favorable, la restriction des dépenses pour les cérémonies, mais aussi les dépenses d’éducation et de santé. Mais cette gestion centralisée par le chef d’exploitation est aussi un élément de fragilité avec, au sein des exploitations composées de plusieurs ménages, des chefs de ménage qui vivent mal ces restrictions et leur dépendance vis-à-vis de l’aîné. La crise du coton a accentué les tensions au sein des familles vis-à-vis des dépenses de consommation, élément qui favorise le départ de membres et la segmentation des familles.

Reproduction de l’exploitation

Cette capacité de résilience a des limites, notamment sur le long terme. La reproduction des exploitations n’est pas assurée car il y a de moins en moins de terres à défricher pour faire face à la croissance démographique et compenser la faible productivité des activités agricoles. Pour faire face à la réduction des capitaux disponibles, les grandes familles éclatent, les chefs de ménage dépendants prenant leur indépendance pour contrôler la gestion des activités et les revenus. L’éclatement des familles, le plus souvent suite au décès du chef d’exploitation, provoque un émiettement des capitaux disponibles et compromet la durabilité des exploitations.

Sans une augmentation significative de la productivité agricole, la plupart des exploitations familiales actuelles ne pourront pas installer les enfants avec le même niveau de capital naturel. L’avenir d’une partie des jeunes doit se concevoir ailleurs (migration) ou dans des activités productives différentes (autres secteurs). Ceci impacte le mode de fonctionnement de la famille/exploitation avec des chefs d’exploitation qui savent que tous les enfants ne pourront pas rester sur l’exploitation ou en fonder une nouvelle sur les terres du village et qu’ils doivent les préparer à trouver eux-mêmes d’autres opportunités, d’où un intérêt et des attentes de plus en plus fortes vis-à-vis de l’école et de l’éducation.

Conclusion

Ainsi, l’intégration au marché des exploitations familiales par l’intermédiaire du coton a augmenté le risque économique. La spécialisation cotonnière de la zone avec l’absence d’autre filière agricole importante et bien structurée ont constitué un facteur défavorable car les exploitations n’ont pas pu réorganiser rapidement la production agricole (modification de l’assolement, intensification d’autres cultures ou des activités d’élevage, etc.). Elles ont subi et pour résister au choc, elles ont fait jouer le caractère familial de l’exploitation : réduction et/ou report de certaines dépenses de consommation, décapitalisation agricole ou de biens durables non agricoles, etc.

Les exploitations agricoles de la zone évoluent lentement et resteront familiales, même si certains changements peuvent marquer l’organisation familiale. Ainsi, l’émiettement des capacités productives va fragiliser de nombreuses exploitations qui devront rechercher d’autres stratégies afin de compléter les revenus des activités agricoles pour vivre ou constitueront une main-d’œuvre bon marché que les exploitations les plus dotées et les plus performantes pourraient embaucher et devenir des exploitations patronales (entreprises familiales). Les politiques agricoles mises en œuvre aujourd’hui semblent vouloir développer ce type d’agriculture à travers la modernisation d’une partie des exploitations et les faire passer dans le secteur formel.

Le caractère familial des exploitations pourrait également être impacté par l’évolution de la société, avec par exemple l’islamisation croissante qui pourrait modifier les règles traditionnelles ou l’individualisation qui va fragiliser les solidarités existantes. Le développement de l’économie marchande devrait également impacter les solidarités familiales et certains capitaux, comme par exemple le foncier qui pourraient de plus en plus faire l’objet de transactions monétaires.

La fragilité de la sédentarisation d’une population pastorale peule au Bénin

Isabelle Droy, Jean-Étienne Bidou

La commune de Djougou, dans la partie centrale du Bénin, à proximité de la frontière du Togo, est une région carrefour qui compte de vieux terroirs et des forêts sèches défrichées activement depuis un demi-siècle par des agriculteurs autochtones et migrants. Elle a aussi accueilli des éleveurs peuls, qui se sont installés à des périodes diverses et qui constituent une entité que l’on peut distinguer sous le terme d’« agro-pasteurs peuls ». Même si ce type n’est pas le plus important dans la commune, son évolution illustre les problèmes liés à la sédentarisation des éleveurs peuls dans le centre et le nord du Bénin et, au-delà, dans la sous-région. En s’intéressant à leur situation[19], on pose également la question de la transformation de la place de l’élevage dans les systèmes agricoles familiaux en dehors des communautés peules.

Djougou : vieux terroirs et fronts pionniers

Un milieu agro-écologique attractif

Djougou est une commune rurale du département de la Donga qui jouit de conditions climatiques favorables à une production agricole diversifiée. Le climat tropical, plutôt arrosé (1 200 mm), autorise une saison agricole assez longue, sans connaître une forte variabilité interannuelle comme dans les régions plus septentrionales. Les cultures vivrières s’enchaînent tout au long de l’année, la période de soudure alimentaire est courte et gêne peu les ménages ruraux.

Comme dans tout le nord du Bénin, le peuplement s’organise autour de vieilles chefferies ou de petits royaumes. Autour de Djougou, qui était le siège d’un grand marché sur la route de la kola, les vieux terroirs sont occupés depuis au moins le xviie siècle ; la localisation des villages y est stabilisée depuis longtemps ; le paysage est celui d’une savane arborée à karité et néré où la densité de population atteint actuellement 40 habitants/km². Par contre, l’est et le sud de la commune sont encore occupés par des forêts sèches, en cours de défrichement depuis plusieurs décennies (Bidou et al., 2013). Les tenures foncières sont mal stabilisées autour des villages récents dont la population s’accroît rapidement, mais où les densités de population demeurent encore relativement faibles (10 à 15 habitants/km2). Sur ces fronts pionniers, l’accessibilité des villages est très inégale avec des conséquences sur les activités pratiquées et sur les conditions de vie. Les villages essaiment via des hameaux de culture qui deviennent permanents. Les campements peuls, à l’extérieur des villages, sont souvent localisés dans la zone de contact entre la forêt et les nouveaux terroirs cultivés. Ils ont parfois été installés depuis plus de 50 ans, mais ne sont pas toujours recensés par l’administration[20].

Figure 4.1. Représentation de l’occupation du sol sur la commune de Djougou au Bénin. Source : J.E. Bidou et I. Droy, ANR ECliS 2010.

Le rythme d’accroissement de la population, de 3,8 % par an, plus rapide que la moyenne nationale (3,25 % par an) correspond, certes, à une natalité forte, mais aussi à l’installation des migrants, venus des communes voisines ou du département de l’Atakora, comme les Bétamaribé. Les populations sont très mobiles avec des départs et des arrivées, notamment sur les fronts pionniers actifs (Doevenspeck, 2004).

Une mosaïque de groupes aux moyens d’existence variés

La population rurale de Djougou est constituée de groupes avec des moyens d’existence différenciés, axés soit sur l’agriculture (céréales et tubercules), soit sur l’élevage. Les Yowa ou les Lokpa sont les groupes de cultivateurs les plus anciennement installés sur la zone ; les Bétamaribé, agriculteurs eux aussi, sont arrivés au cours du dernier demi-siècle ; les éleveurs, le plus souvent des Peuls, sont venus par vagues successives.

Dans la commune, les Peuls formeraient 7 % de la population d’après le recensement de 2002[21], ce qui est bien moins qu’au nord et au nord-est du pays, dans le département du Borgou (frontalier avec le Nigeria), où la part des Peuls dans la population communale peut dépasser la moitié[22]. Dans cette région, siège de l’ancien royaume Bariba qui était florissant au xixe siècle, les Peuls étaient accueillis et leur activité d’élevage appréciée, mais leur statut restait subalterne sur le plan politique, car soumis à l’autorité et à l’impôt des nobles wasangari. Les Peuls dits « de Djougou », considérés comme autochtones, ont sans doute accompagné l’extension de cet ancien empire Bariba et sont installés à Djougou depuis au moins un siècle. Ainsi, dans les vieux terroirs, la sédentarisation des familles peules peut dater de plusieurs générations, avec un abandon progressif des activités d’élevage. Cette migration ancienne s’est amplifiée depuis quelques décennies et surtout pendant la sécheresse des années 1970-1980, durant laquelle des Peuls du Borgou venant avec leur bétail se sont installés dans la commune, sur les fronts de défrichement. Enfin, depuis une dizaine d’années, des éleveurs peuls, dit Mbororo, ayant quitté le Nigeria avec des troupeaux importants, traversent la région dans leurs mouvements de grande transhumance et certains d’entre eux installent leur point d’attache dans la commune, car la situation y est plus sûre qu’au Nigeria (Ciavolella, 2013). Cette situation illustre la diversité des groupes et de l’« identité peule », notion qui a fait l’objet de nombreux travaux, montrant la construction de l’ethnicité (Guichard, 1990). Plusieurs auteurs ont exploré la notion de pulaaku (Boesen, 1999), définie soit comme communauté, soit comme code moral et social, s’imposant avec des variantes dans les communautés peules (Dupire, 1996 ; Breedveld et De Bruijn, 1996). Si, dans les années 1980, le « réveil » de l’identité peule au Bénin s’est basé sur ce concept de pulaaku, il demeure que des groupes distincts coexistent avec des intérêts qui ne sont pas toujours convergents.

Pour ceux que l’on appelle les « Peuls de la vache », la pratique de l’élevage impose des contraintes dans la localisation de l’habitat, qu’il soit permanent ou un point d’attache. Les groupes familiaux ayant des troupeaux assez importants (pour une région somme toute assez malsaine pour la santé animale) habitent dans les campements à l’intérieur de la forêt afin d’éviter les zones cultivées et les risques de conflits en cas de dégradation des cultures. La majorité des agro-éleveurs est ainsi localisée sur les fronts pionniers (villages de Daringa et Moné, par exemple), car les parcours sous forêt restent nécessaires à l’élevage bovin. Mais on trouve aussi des familles à la périphérie de Djougou, la ville constituant un débouché pour les produits de l’élevage.

Selon la période de sédentarisation, les rapports des Peuls à l’élevage bovin ont pu se distendre. Beaucoup d’entre eux ont perdu ou dispersé leurs troupeaux et vivent comme leurs voisins agriculteurs, mais d’autres, tout en cultivant quelques champs, ont conservé du cheptel et pratiquent une transhumance locale. Dans le même temps, d’autres formes d’élevage ont émergé dans la commune, certaines familles d’agriculteurs yowa et lokpa ont aussi du bétail, ce qui illustre les transformations des systèmes d’activités et l’intérêt des agriculteurs pour ce type d’investissement. À proximité de Djougou, on trouve aussi des petits troupeaux périurbains sédentaires souvent propriété de commerçants (Alkoiret et al. 2011).

Choix de la forme familiale étudiée

La forme familiale étudiée est celle des Peuls qui pratiquent encore l’élevage et plus particulièrement les familles peules ayant au moins un bovin et/ou plus de 20 petits ruminants (chèvres et/ou moutons). On les désignera sous le terme d’« agro-pasteurs peuls », car tous les groupes familiaux de cette catégorie ont une activité agricole relativement importante, ce qui constitue une transformation significative du point de vue de l’organisation familiale, sociale et culturelle. Cela permet de les distinguer des pasteurs transhumants peuls qui traversent chaque année la commune de Djougou sans y avoir leur point d’attache[23] et qui ne sont pas pris en compte dans l’analyse qui suit.

Le caractère familial des moyens d’existence des agropasteurs

La complexité de l’organisation familiale

La principale caractéristique des structures familiales des sociétés rurales d’Afrique de l’Ouest est leur complexité, que les catégories statistiques peinent à prendre en compte : unité de production, unité de résidence, unité de consommation ou « cuisines[24] » ne se superposent que partiellement (Gastellu, 1980). L’unité de production elle-même est complexe, avec plusieurs centres de décision et des choix économiques spécifiques. Mais ces centres sont interdépendants, pour la main-d’œuvre, la gestion des champs familiaux et le troupeau. En effet, chez les agro-pasteurs peuls, les animaux ont des statuts de propriété assez différents, pouvant appartenir au collectif du groupe familial mais aussi individuellement à des femmes ou à des jeunes de ce groupe. Les femmes, avec leurs filles, exercent de façon autonome plusieurs activités simultanément ou échelonnées dans l’année : agriculture, transformation de produits agricoles (qu’elles achètent éventuellement à leur mari) ou encore salariat.

Le niveau du groupe familial (confondu avec l’unité de production, il est souvent appelé exploitation agricole ou exploitation agricole familiale par les agronomes) est composé d’un ou de plusieurs ménages, dont la définition elle-même est sujette à discussion (De Vreyer et al., 2008). Ces ménages sont monogames ou polygames et les femmes, tout comme les jeunes hommes célibataires vivant dans le groupe familial, ont une autonomie et des responsabilités plus ou moins importantes selon les sociétés. Le défi est donc de saisir l’interdépendance entre les différentes unités.

Dans les enquêtes socio-économiques, la tentation est grande d’éviter d’entrer dans la complexité de l’organisation des groupes familiaux : de ce fait, une partie des activités, notamment celles menées par les femmes, reste souvent imprécise et mal évaluée, car de toute façon mal connue des hommes chefs de ménage, souvent seuls à être interrogés. Pour éviter cet écueil, nous avons utilisé trois questionnaires différents pour un échantillon emboîté groupe familial-ménages-femmes[25]. La méthode suivie consiste à sélectionner des groupes familiaux et ensuite à y enquêter systématiquement les ménages qui la composent, ainsi que toutes les femmes (mariées, veuves ou séparées) qui en font partie[26].

L’analyse des moyens d’existence des agro-pasteurs prend ainsi en compte les résultats des différents niveaux (femmes, ménages, groupes familiaux), ce qui permet une évaluation complète du système d’activités et de la richesse de la famille dans ses différentes composantes.

Les liens entre le groupe familial et l’unité de production

À Djougou, l’agriculture représente un volet fondamental de l’activité familiale en termes de temps de travail, de revenu ou de couverture des besoins alimentaires des agro-pasteurs peuls, même chez les plus grands éleveurs qui possèdent une centaine de têtes de bovins.

À partir des enquêtes ECliS de 2010, il est possible de calculer le revenu monétaire du groupe familial, qui inclut les revenus gérés par le chef de famille, mais aussi ceux des ménages dépendants et des femmes.

Chez les agro-pasteurs peuls, la vente des produits agricoles et des plantations représente 44 % du revenu monétaire du groupe familial et ceux issus de la diversification des activités 31 %, alors qu’elles sont menées le plus souvent par les cadets familiaux et les femmes[27]. Il s’agit d’artisanat, de petit commerce et de salariat agricole, qui concerne près du tiers des familles. En saison des pluies, il est assez courant qu’un des membres du ménage se fasse embaucher dans d’autres exploitations pour des travaux agricoles. Les autres activités sont très variées et sont liées aux opportunités qui se multiplient avec la proximité de la route et plus encore de la ville de Djougou qui compte une centaine de milliers d’habitants. C’est d’ailleurs dans la périphérie de Djougou que les revenus générés par cette diversification sont les plus élevés. Quant à la vente de produits de l’élevage, elle représente en moyenne 26 % des revenus monétaires (figure 4.2). Un tiers est constitué par la vente de lait et de fromage, apanage des femmes (Kuhn, 1997).

Ces revenus monétaires ne constituent cependant qu’une partie de la valeur de la production totale, car la consommation familiale absorbe une part significative des aliments produits. À partir de données détaillées sur les quantités récoltées et sur la part vendue ou donnée, il est possible de déduire la part de la production familiale autoconsommée et de la valoriser au prix du marché local. En 2010, la part de d’agriculture dans les revenus totaux des agro-pasteurs peuls atteint 72 % en moyenne, celle de la diversification 15 % et celle de l’élevage 13 %.

Figure 4.2. Structure du revenu monétaire et total des agro-pasteurs peuls en 2010.

La structure du revenu monétaire des agro-pasteurs peuls diffère sensiblement de celle des autres groupes identifiés dans l’enquête, comme les Peuls ayant perdu leur bétail et les agriculteurs d’autres ethnies.

La comparaison entre l’origine des revenus monétaires des agro-pasteurs peuls à ceux qui ont perdu leur bétail montre bien que l’abandon de l’élevage par les Peuls, en plus de ses aspects affectifs, correspond à une descente dans la pauvreté : à la disparition des revenus de l’élevage s’ajoute le déclin des activités de diversification, alors que la vente des produits agricoles n’augmente pas de façon significative (figure 4.3).

Figure 4.3. Répartition des revenus monétaires selon les groupes en 2010.

Agro-pasteurs peuls n = 57, Peuls non éleveurs n = 84, agriculteurs des autres ethnies n = 148.

Le caractère familial de l’agriculture se retrouve à travers la mobilisation de la main-d’œuvre familiale pour les activités agricoles et l’élevage. La taille de la famille, par le nombre de bras disponibles, détermine en grande partie la capacité à produire pour les cultures annuelles (tubercules et céréales), notamment dans les champs familiaux sur lesquels les membres de la famille doivent consacrer un temps de travail déterminé et dont la production, destinée en partie à l’alimentation de la famille, est gérée par le chef de famille. Quand il reste du temps disponible entre les différentes obligations agricoles (mais aussi domestiques pour les femmes), les membres de la famille peuvent éventuellement se consacrer à leurs autres activités (champs personnels, activités artisanales, etc.)[28]. Le recours au salariat agricole est ponctuel (parfois pour le buttage de l’igname) et, dans le groupe étudié, très minoritaire. La transhumance pratiquée par 51 % des agro-pasteurs peuls est conduite par un berger membre de l’unité de production ; seules deux familles emploient un berger contractuel.

Le caractère familial du contrôle du patrimoine est relativement clair en ce qui concerne le cheptel, qui est possédé par différents membres de la famille et géré selon des règles assez complexes chez les Peuls. Bierschenk et Foster (2004) décrivent ainsi la circulation des animaux au sein de la famille : dons du père à la naissance d’un enfant (garçon ou fille) pour démarrer la constitution du troupeau ou dons lors de différentes cérémonies. Si la propriété des animaux est bien identifiée individuellement et généralement familiale (avec des règles précises concernant la possibilité de vendre), les troupeaux des éleveurs peuls comptent aussi quelques animaux appartenant à des agriculteurs sédentaires. Cette pratique du « confiage », qui reposait sur la confiance et la complémentarité entre agriculteurs et éleveurs, tend à se réduire et seulement 14 % des agro-pasteurs peuls ont des animaux confiés dans leur troupeau, pour la plupart des bovins. Le devenir du troupeau suit le cycle de vie familial. À leur mariage, les fils ont le droit de partir du cercle familial avec leurs propres bêtes ; ils restent généralement tiraillés entre le désir de s’installer à leur propre compte avec leur troupeau et celui de conserver les avantages qu’ils ont à maintenir un troupeau commun avec leur père pour la gestion de la transhumance par exemple.

Pour le patrimoine foncier, la situation est plus complexe et dépasse largement le cadre du groupe familial. À Djougou, de façon très classique, le mode de régulation d’accès à la terre est marqué par l’organisation patrilinéaire de la société. Le fondateur du village ayant passé alliance avec le génie des lieux, la terre est transmise aux générations suivantes par les hommes et contrôlée plus ou moins fermement par les chefs de terres et autres « rois » locaux, descendants du fondateur ou des clans guerriers qui les ont supplantés (Doevenspeck, 2004). Elle a pu ensuite être divisée entre plusieurs lignages et transmise aux chefs de famille du village qui ont ainsi sur les terres des droits plus ou moins forts. Les nouveaux arrivants ont des droits fonciers en principe plus précaires[29]. La situation où se superposent les droits du chef des terres, du chef de lignage et du chef de famille est plutôt celle des terroirs anciens, plus policés que celle des fronts pionniers.

Dans ce contexte, le cas des Peuls est particulier. Ils ont, à des périodes diverses, immigré et les chefs locaux leur ont octroyé des terrains pour s’établir. Cet équilibre, qui était garanti par la chefferie traditionnelle, a été modifié dans les années 1970, sous le régime de Kérékou, où les pouvoirs des chefferies ont été affaiblis. Mais la libéralisation des années 1990 et 2000 a vu la réhabilitation de la chefferie et de ses revendications foncières, souvent au détriment des Peuls, du fait des changements des rapports d’alliance et du contexte économique (Chauveau et al., 2006). Désormais, les Peuls se retrouvent sans grande protection dans un contexte social incertain. C’est pourquoi les agro-pasteurs peuls cherchent à sécuriser leurs droits avec des plantations d’anacardier le plus souvent. Ce geste, qui est un acte d’appropriation, ne serait pas envisageable dans d’autres régions, mais reste possible à Djougou du fait de l’abondance relative des terres dans certaines parties de la commune, mais aussi de l’ancienneté de l’installation de lignages peuls.

Les moyens d’existence durables des agro-pasteurs peuls

Dans notre utilisation de la démarche des « moyens d’existence durables » (sustainable livelihoods), nous sommes revenus à la définition de Chambers et Conway (1991) : les actifs (capitaux) peuvent être tangibles (ressources et stocks) ou intangibles (droits et accès).

Importance du capital humain et naturel
Une forte identité mais un faible niveau de développement humain

Le capital humain s’estime d’abord par la taille et la composition des groupes familiaux ; pour les agro-pasteurs peuls, la taille moyenne est de 8,5 personnes, avec 19 % de familles complexes comportant plus de deux ou trois ménages. La taille des familles, leur complexité, mais aussi la taille des troupeaux augmentent avec l’âge, reflétant une capitalisation au cours du cycle de vie. Le taux de dépendance, qui mesure le rapport nombre d’inactifs/nombre d’actifs, est en moyenne de 1,1.

La taille du groupe familial renforce sa capacité de résistance aux chocs, qu’ils soient externes ou internes, comme la maladie d’un ou plusieurs actifs. La diversification des activités, pratiquée sur place ou en migration temporaire, est à mettre en relation avec un nombre d’actifs importants.

Le capital humain est aussi défini par le niveau de formation, ainsi que par l’état de santé des personnes. Le savoir-faire est difficile à mesurer dans une enquête, mais le niveau de scolarisation peut l’être. Il est faible chez les agro-pasteurs peuls en raison de leur résistance ancienne à la scolarisation et du fait qu’ils vivent le plus souvent à l’écart des villages : ainsi, seuls 4 % des femmes et 15 % des hommes de plus de 15 ans déclarent savoir lire.

Un autre aspect du capital humain est la santé. Les résultats des enquêtes démographiques et sanitaires montrent la prévalence de la malnutrition chronique infantile à un niveau très élevé : dans le département (incluant donc les villes), plus du tiers des enfants de moins de 5 ans présentent un retard de croissance (Insae, 2007 ; PAM, 2009) malgré une assez bonne disponibilité alimentaire. Une enquête réalisée dans le cadre d’ECliS en 2011 sur un petit échantillon de femmes a permis d’identifier que, chez les agro-pasteurs peuls, malgré une alimentation qualitativement plus riche en produits laitiers, 52 % des enfants de moins de 5 ans[30] souffraient de malnutrition chronique (retard de croissance). Comme souvent dans l’étude de la malnutrition chronique infantile, l’analyse des causes révèle la conjonction de plusieurs facteurs : pratiques nutritionnelles inadéquates, mauvais accès à l’eau potable, éloignement ou accès difficile aux centres de santé (Droy et al., 2014).

L’amélioration de cette situation préoccupante en termes de développement humain reste difficile dans la mesure où les campements, même anciennement installés, sont peu pris en compte par l’administration, y compris par les autorités décentralisées.

Les ressources naturelles : des accès complexes

L’utilisation de la notion de capital naturel (notamment la terre et l’eau) soulève beaucoup de difficultés. En effet, il ne peut se mesurer uniquement à l’échelle du groupe familial (qui est l’échelle d’étude ici), car le capital naturel est collectif et partagé (avec parfois des conflits) avec d’autres groupes, qui ont des droits de nature différente ; malgré les tendances à l’appropriation privée de certaines ressources, le groupe familial n’a donc qu’un contrôle réduit sur l’évolution du capital naturel.

Les terres font l’objet d’une agriculture sur brûlis. Lors du défrichement, des arbres sont conservés, ce qui permet la formation de parcs agroforestiers dans lesquels de nombreuses espèces sont utilisables, comme le karité et le néré, dont les femmes utilisent et transforment les fruits. Cependant, l’accès à ces produits s’est restreint avec la pression foncière et les fruits sont de plus en plus réservés aux seuls possesseurs des tenures foncières, illustrant une réduction des droits d’accès et une appropriation plus individualisée des ressources.

Les terrains de parcours du bétail sont de plusieurs sortes : les jachères et les friches, qui sont importantes dans une agriculture sur brûlis, les forêts sèches dont la surface est encore étendue dans la commune, mais aussi la vaine pâture sur les terrains de culture après la récolte, surtout de céréales. L’accès à ces ressources s’est modifié avec la dissémination des défrichements agricoles. Les conflits d’usage se multiplient avec les dégâts réels ou supposés aux cultures par les animaux. Les agriculteurs, qui deviennent eux-mêmes agro-éleveurs en investissant dans l’achat de bétail, ramassent les résidus de récoltes pour leur propre troupeau ou font passer celui-ci avant d’ouvrir les champs aux troupeaux des agro-pasteurs peuls ou des transhumants. Cette conflictualité s’exprime de plus en plus par le refus de concession de terres pour des nouveaux arrivants (Ciavolella, 2013). La forêt, devenue une zone refuge pour l’élevage, est elle-même en voie de régression ; son utilisation comme espace de pâturage pour les animaux provoque des conflits avec les autorités chargées de la gestion des espaces forestiers (en particulier sur les forêts classées), mais il semble plus simple pour les agro-éleveurs de « négocier » avec les services concernés.

Malgré une pluviométrie de 1 200 mm/an, l’accès à l’eau peut devenir problématique durant la saison sèche qui voit l’arrêt des écoulements et l’assèchement des marigots. De surcroît, l’accès à l’eau est rendu de plus en plus ardu en raison de l’extension par les cultivateurs des cultures de contre-saison dans les bas-fonds. Le barrage de Daringa à Djougou illustre bien ces tensions sur les ressources. Alors qu’il avait été pensé et construit au bénéfice des éleveurs dans le cadre d’un projet d’appui à l’élevage, des cultures maraîchères ont été installées à l’aval, puis les agriculteurs ont fermé les couloirs d’accès des troupeaux à la retenue d’eau (Gangneron, 2011).

La restriction des accès aux ressources naturelles se manifeste par des entraves de plus en plus grandes à la mobilité des troupeaux, base de l’élevage pastoral. Les stratégies de gestion mises en place par les éleveurs pour optimiser l’alimentation des troupeaux dans les pâturages se trouvent compromises, et ceci d’autant plus qu’il existe aussi des problèmes d’insécurité sur des territoires éloignés de leur village où ils prévoient d’aller en transhumance (Mali, Nigeria). La sédentarisation progressive des éleveurs s’est donc traduite par une réduction de l’ampleur de la transhumance et de sa durée, mais la mobilité reste nécessaire dans la conduite de l’élevage qui ne peut se concevoir strictement en stabulation.

Un capital physique peu technicisé

En l’absence de mécanisation de l’agriculture, les équipements sont réduits à quelques moyens de transport (moto, vélo). Le capital physique est essentiellement constitué par les troupeaux et les plantations.

Le dénombrement du cheptel est notoirement difficile dans ces sociétés, mais on peut estimer le troupeau moyen des agro-pasteurs peuls à une trentaine de bovins, une vingtaine d’ovins et une douzaine de chèvres, avec cependant une distribution très inégale. Ainsi, 70 % des groupes familiaux ont moins de 20 têtes de bovins ; ils pratiquent une petite transhumance quand ils parviennent à l’organiser. Seulement 10 % des familles ont plus de 50 têtes, ce qui correspond le plus souvent à des agro-éleveurs fixés récemment dans la commune et qui continuent à pratiquer une transhumance sur de grandes distances (Ciavollella, 2013).

Selon l’étude du programme ECliS sur la dynamique du cheptel (Corniaux et al., 2012), les recensements indiquent une augmentation de l’effectif de bovins depuis une trentaine d’années. Cette augmentation globale du cheptel contraste fortement avec son faible taux de reproduction. Les vaches ne mettraient bas pas plus de deux ou trois veaux tout au long de leur vie, dont un tiers meurt dans la première année.

La situation sanitaire des troupeaux est fragile en raison des conditions climatiques. Les services vétérinaires de l’État, qui organisaient le suivi sanitaire des troupeaux et les campagnes de vaccination jusque dans les années 1990, ont subi, comme dans les pays voisins, la dérégulation liée à la mise en place des plans d’ajustement structurel, sans qu’un relais fiable soit assuré par une autre structure (privée, coopérative, etc.).

Ainsi, l’insuffisance du suivi sanitaire, la saisonnalité des systèmes d’élevage, l’absence de complémentation alimentaire et surtout les conditions d’accès aux ressources fourragères se révèlent très contraignantes. Le bétail est vulnérable aux épizooties et après une crise grave (c’est-à-dire avec plus de 50 % de pertes), il faut plusieurs décennies pour reconstituer les troupeaux de bovins (Corniaux et al., 2012). Ceci explique que beaucoup de Peuls installés depuis longtemps à Djougou voient progressivement diminuer leur troupeau, jusqu’à ne plus avoir d’animaux ou au moins plus de bovins. Si le cheptel communal augmente donc, c’est par l’immigration d’éleveurs des communes et régions voisines avec leurs troupeaux.

Par contre, de façon plus surprenante, on constate que les plantations, notamment d’anacardiers, tiennent une place importante dans le capital physique des agro-pasteurs et deux tiers des groupes familiaux en possède, se rapprochant ainsi du modèle des agriculteurs.

L’importance des réseaux sociaux

Le capital social est également une notion problématique. Dans un sens étroit, conformément à ce que décrit Bourdieu (1980), il correspond aux réseaux de solidarité que les individus, les ménages et les familles peuvent mobiliser. Une aide en nature ou en information peut être liée aux activités productives (contact en zone d’émigration pour l’exode ou accords pour l’accueil des troupeaux en période de transhumance), relations dans les instances communales ou à un niveau plus élevé. Le réseau de relations peut intervenir face aux chocs ou aux crises affectant la santé (comme l’accueil en ville pour les soins d’un parent, l’aide financière ou en nature en cas de problème de santé), la situation alimentaire de la famille (dons ou prêts pendant la soudure).

Ces réseaux sociaux, essentiellement d’ordre familial ou de voisinage, constituent un tissu d’obligations réciproques. La gestion des troupeaux crée aussi des relations entre des propriétaires qui confient leurs animaux aux chefs de famille peuls. Par contre, les contrats de fumure qui lient éleveurs peuls et agriculteurs n’ont jamais été très nombreux dans la commune et se cantonnent aux vieux terroirs. Enfin, les liens fonciers créent également les conditions d’une citoyenneté locale et sont enchâssés dans des relations d’échange, mais parfois de dépendance : le « tuteur » accueille un « hôte étranger » qui acquiert ainsi un statut durable dans la communauté villageoise (Chauveau et al., 2006).

Les communautés peules sont elles-mêmes peu homogènes et, bien que partageant des codes culturels communs (dont la langue, avec des variantes), elles ne s’appuient pas sur les mêmes réseaux sociaux. Il peut y avoir d’ailleurs plus de solidarité entre les Peuls de Djougou et les villageois qui leur ont octroyé un espace pour s’installer qu’avec les Peuls arrivés récemment en provenance du Nigeria.

Le capital financier

En l’absence d’institutions financières, le capital financier est réduit. L’épargne est formée par les petits ruminants (épargne sur pied), dont on vend une tête en cas de besoin, voire parfois un bovin si nécessaire. Les transferts ou remises de fonds de l’étranger (migration) sont limités, ponctuels et difficilement évaluables.

Les représentations du pentagone des capitaux

La représentation des actifs sur le pentagone des capitaux permet une visualisation d’un état et des comparaisons entre systèmes, mais, en l’absence de possibilité de mesure, cet exercice comporte une part importante de subjectivité.

Les activités d’agriculture-élevage

Les activités d’agriculture-élevage (décrites ci-dessus) dépendent fortement du capital naturel et du capital humain. En l’absence de mécanisation, le capital physique est essentiellement composé du cheptel et des plantations. Celles-ci sont importantes dans la stratégie de sécurisation des terres, mais comptent assez peu dans la formation du revenu. Le capital financier est peu visible directement, puisque c’est le cheptel qui constitue l’épargne. Le capital social est important pour l’accès à la terre et à l’eau, y compris pour les groupes marginalisés ou pour les réseaux de contacts mobilisés lors de la transhumance (figure 4.4).

Les activités de diversification

Les activités de diversification comprennent la transformation de produits agricoles ou de cueillette, les activités artisanales ou salariées, le petit commerce, qui sont le plus souvent des activités individuelles menées par les hommes (chefs de famille, de ménage ou célibataires) et les femmes du groupe familial.

Les capitaux ont une importance relative selon le type d’activités (figure 4.5). Le capital commun à toutes les activités est le capital humain. Le capital social est souvent mobilisé pour les activités commerciales ou pour celles en dehors de la commune, comme les migrations temporaires où un contact sur le lieu de migration est utile.

Le niveau de maîtrise des capitaux

La maîtrise des capitaux à l’échelle des familles (figure 4.6) est très faible pour le capital naturel. Le capital financier, quand il existe, est contrôlé par les familles, car il n’existe pas de capitaux extérieurs à l’exploitation ; il en est de même pour le capital physique, mais celui-ci dépend aussi d’autres niveaux décisionnels (par exemple, droit de planter).

La maîtrise du capital social est mitigée : si les familles peuvent avoir des relations d’entraide entre un même groupe culturel, les relations sont souvent asymétriques avec les détenteurs des pouvoirs locaux ou avec les institutions locales.

Figure 4.4. Capitaux pour les activités d’agriculture-élevage.

Figure 4.5. Capitaux pour les activités de diversification (hors agriculture-élevage).

Figure 4.6. Niveau de maîtrise par capital.

Quel devenir pour les agro-pasteurs peuls à Djougou ?

L’évolution récente a montré la réduction des droits d’accès dont disposent les agro-pasteurs de Djougou, en particulier pour la pratique de l’élevage. Cette réduction est liée à l’évolution démographique de la commune qui a vu sa population tripler en trente ans, créant une tension certaine sur les ressources.

Mais cette réduction est aussi le résultat de processus qui marginalisent les agro-pasteurs peuls dans les institutions qui régulent l’accès aux ressources qu’elles soient coutumières ou issues de la décentralisation. Les Peuls sont dans une position politique défavorable en terme de représentation, contrairement aux agriculteurs yowa et lokpa. On peut l’illustrer à partir de trois exemples particulièrement significatifs à différentes échelles, qui mettent en évidence les enjeux que sont les accès aux ressources naturelles, une meilleure commercialisation et une mobilité moins aléatoire.

À l’échelle locale, le cas du barrage de Daringa est une illustration du « détournement » au profit des agriculteurs d’un aménagement hydraulique pastoral destiné à l’abreuvement des animaux (Gangneron, 2011).

À l’échelle de la commune, on peut mentionner les difficultés de la mise en place d’un marché autogéré du bétail dans la commune de Djougou, qui permettrait aux éleveurs locaux d’avoir un meilleur contrôle de la commercialisation et une répartition plus équitable des bénéfices. Ils se heurtent aux dilaali, les courtiers en bétail, gestionnaires du grand marché de Kolokondé, établis depuis 1930, alliés aux autorités communales qui perçoivent les taxes ; ce marché est surtout fréquenté par les grands éleveurs qui pratiquent pour la plupart une transhumance internationale.

Une autre illustration est le non-respect des droits d’accès des pasteurs aux ressources, même quand ceux-ci sont définis à une échelle nationale et internationale : ainsi, un axe de transhumance internationale vient du Burkina Faso et passe à l’ouest de Djougou, qui a été désignée comme zone d’accueil pour les pasteurs transhumants par des instances comme la Cedeao, en accord avec les autorités béninoises. Or, non seulement les équipements prévus (aménagement de la piste, points d’eau, zones aménagées pour des haltes) ne sont pas réalisés, mais en plus les agriculteurs grignotent l’espace prévu et les conflits se multiplient.

Ainsi, d’une manière générale, la marginalisation politique et sociale des Peuls du nord du Bénin s’est accrue ces dernières années avec une bipolarisation souvent conflictuelle des rapports entre éleveurs et agriculteurs (Bierschenk et Foster, 2004 ; Ciaovelella, 2013). La prise de conscience que les Peuls du Bénin constituent un groupe dominé a conduit à une tentative d’organisation fondée à la fois sur l’ethnicité et le genre de vie. Un des héritages de ce mouvement est l’Anoper (Association nationale des organisations professionnelles des éleveurs de ruminants du Bénin), qui a pour but de promouvoir le développement des éleveurs, mais se trouve être aussi un moyen d’expression des Peuls.

On se trouve donc dans des jeux d’acteurs où le cadre analytique des moyens d’existence durable est utile mais incomplet. Car considérer les institutions comme des formes sociales stables serait trompeur ; il s’agit plutôt de groupes qui s’agrègent ou s’opposent en fonction des enjeux. D’ailleurs, les agro-pasteurs étudiés ici ne forment pas une entité homogène : leurs intérêts varient en fonction de leur sécurité foncière, de l’importance de leur troupeau, de leur réseau d’alliance avec les non-Peuls. Chaque tension montre finalement les difficultés de ce groupe dominé à s’organiser et, par extension, son manque de cohésion.

Ces difficultés interagissent avec la dynamique interne des groupes familiaux. L’analyse démographique révèle des tendances à l’éclatement des familles et au délitement des modes de vie. Il y a peu de jeunes adultes dans les campements, beaucoup de jeunes hommes étant partis en migration de longue durée le plus souvent au Nigeria, où il y a plus de possibilités de gagner de l’argent et de ramener des biens valorisés socialement aux yeux des jeunes comme une moto. Les entretiens montrent que beaucoup d’entre eux se désintéressent de l’activité d’élevage à cause de la rudesse des conditions de la transhumance. Ce changement de perspectives, qui a pour conséquence un déficit de bergers, compromet, au moins autant que les maladies, la pérennité du troupeau familial.

L’exemple de l’évolution des agro-pasteurs peuls de cette région du Bénin illustre un processus en cours dans différents pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier dans les zones non exclusivement pastorales. Les droits d’accès aux ressources, sur lesquels repose la mobilité pastorale, sont d’autant plus souvent remis en cause que la décentralisation politique et administrative amorcée dans les années 1990 a accompagné, avec le renforcement des instances villageoises, le retour des acteurs traditionnels en même temps que l’émergence d’une nouvelle classe politique. Dans ce contexte, les éleveurs, mal représentés dans les instances villageoises, dotés de droits fonciers plus précaires et, de surcroît, héritant au nord du Bénin d’une histoire de groupe dominé, ont été marginalisés dans le nouveau jeu politique (Bierschenk, 1995).

L’analyse par le cadre des moyens d’existence permet de décomposer les actifs et les droits d’accès ; elle nécessite toutefois de mobiliser en complément les analyses sociopolitiques afin de décrypter les dynamiques en cours.

7Ce programme de préadhésion avait pour objectif de résoudre les problèmes prioritaires liés à l’adaptation à long terme des économies rurales des pays candidats et de faciliter la mise en œuvre par ceux-ci de l’acquis communautaire en mettant l’accent sur la politique agricole commune.
8 Ce programme d’aide communautaire aux pays d’Europe centrale et orientale (Peco) constituait le principal instrument financier de la stratégie de préadhésion pour ces États candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Depuis 1994, les missions du programme Phare ont été adaptées aux priorités et aux besoins de chaque Peco. Il poursuivait essentiellement deux priorités : le renforcement des institutions et des administrations et le financement des investissements.
9Une voïvodie (województwo, en polonais) est un échelon administratif de la Pologne correspondant à une région. Depuis le 1er janvier 1999, elle regroupe l’administration de l’État et l’administration décentralisée de la collectivité régionale, aux compétences complémentaires.
12 Feddan : unité de surface agricole en Égypte ; 1 feddan = 24 kirat = 60 m  70 m = 4200 m² = 0,42 ha.
13Agriculture d’entreprise au sens de Bélières et al., 2013.
14LE : livre égyptienne, le taux de change était de 9,16 LE/euro au cours de la période de l’étude.
15La CMDT a élaboré, et utilisé dans ses programmes de vulgarisation, une typologie des exploitations agricoles familiales fondée sur les équipements et le cheptel, deux variables fortement corrélées avec les autres caractéristiques structurelles (taille démographique, superficies cultivées, etc.). Les conseils techniques étaient adaptés à chacun des quatre types identifiés.
16Les femmes ont accès à la terre par l’intermédiaire de leur mari sur leurs terres cultivables ou sur la jachère d’un autre propriétaire sous forme de prêt.
17La valeur du capital a été estimée en donnant une valeur résiduelle proche de la valeur d’usage.
181 euro = 655,96 francs CFA.
19Cette recherche a été réalisée dans le cadre du programme ECliS (élevage, climat et société) financé par l’Agence nationale de la recherche (Vulnérabilité, milieu, climat et sociétés, VMCS 2008) de 2009 à 2012. L’objectif du programme était d’étudier la « contribution de l’élevage à la réduction de la vulnérabilité des ruraux et à leur adaptabilité aux changements climatiques et sociétaux en Afrique subsaharienne ».
20C’est pour cette raison que l’estimation de la population peule installée sur la commune est probablement sous-estimée dans les chiffres officiels.
21République du Bénin, 2002. Troisième recensement général de la population et de l’habitation. Institut national de la statistique et des études économiques. Un recensement a été réalisé en 2013, mais ses résultats détaillés n’étaient pas encore disponibles au moment de notre étude.
22Bien que l’on ne fasse guère la distinction, pourtant fondamentale du point de vue social, entre les Peuls stricto sensu et les Gando, descendants de leurs esclaves.
23Dans le cadre du projet ECliS, l’échantillonnage de l’enquête socio-économique a été réalisé selon un choix raisonné avec une forte surreprésentation du groupe peul, qui constitue la moitié de l’échantillon. Malgré cela, seulement un quart de l’échantillon (25 %) appartient au groupe sélectionné « agro-pasteurs peuls », en raison de la faiblesse ou de l’absence de l’élevage dans une partie des familles, ce qui est d’ailleurs souvent vécu par eux comme une perte d’identité (Ciavolella, 2013).
24La « cuisine » correspond au groupe de consommation : un ou plusieurs repas quotidiens sont préparés pour l’ensemble du groupe (un ou plusieurs ménages) à partir des greniers collectifs.
25Dans l’enquête, les activités autonomes des hommes célibataires dépendant du groupe familial sont prises en compte au niveau du ménage.
26Quand il n’y a qu’un ménage dans la famille (famille simple), les questionnaires groupe familial et ménage sont fusionnés. Il y a aussi des cas très rares (moins de 1 %), où la femme est déclarée en tant que chef de ménage.
27Chez les agro-pasteurs peuls, la production des femmes sur leurs champs représente un dixième de la production totale d’igname, d’arachide et de mil, denrées souvent commercialisées. En plus de leur travail sur les champs familiaux et des activités domestiques, elles mènent en moyenne cinq activités et un quart d’entre elles en font plus de six.
28Ceci est un aspect assez général dans les familles complexes en Afrique. Les obligations des membres de la famille se modifient au cours du cycle de vie de la famille et de l’exploitation).
30Enquête auprès d’un échantillon de 59 femmes ayant des enfants de moins de 5 ans, tiré à partir de la typologie des familles ; 103 enfants ont été mesurés et pesés selon les normes de l’OMS.