Burnod Perrine, Rakotomalala Heriniaina, Bélières Jean-François.
2019. Diversité des formes de migrations internes à Madagascar.
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Résumé : Loin d'un simple exode .. des migrations du rural vers le rural. A Madagascar, les migrations internes liées à des phénomènes politiques, religieux ou économiques, qu'elles aient été contraintes, organisées ou spontanées, ont structuré le territoire dans le temps long (Deschamps, 1959). Aujourd'hui elles se poursuivent mais, contrairement à de nombreux autres pays africains, elles ne s'inscrivent pas dans un mouvement d'exode rural massif4 (Rakotanarivo et al., 2008). Même si les départs en direction des villes s'intensifient (Banque Mondiale, 2011), elles demeurent majoritairement rurales (OIM, 2014). Cependant, l'absence de données récentes à l'échelle nationale5 empêche de connaitre l'ampleur et les formes respectives de ces mobilités. Seules des analyses ponctuelles à l'échelle des régions permettent d'esquisser à grands traits les contours de ces dynamiques migratoires. A la recherche d'emploi, de terres, de ressources naturelles ou minières. Ces migrations rurales sont généralement motivées par la recherche d'emploi (saisonnier ou permanent), de ressources minières, de bois ainsi que de terres agricoles et de pâturages, les différents motifs pouvant se combiner. A l'échelle nationale, les superficies agricoles augmentent et incitent les éleveurs à déplacer leurs aires de pâturages (Faurroux, 1997 ; Jacquier-Dubourdieu, 2002). Cependant, à l'échelle des exploitations agricoles, la superficie moyenne cultivée ne cesse de diminuer – en prolongeant les tendances des deux derniers recensements agricoles (1984 et 2004), elle serait réduite de moitié en l'espace de 40 ans et passerait de 1,2 ha en 1984 à 0,61 ha en 2024 (Belières et al., 2016). Dans les territoires de haute densité de population, les jeunes agriculteurs n'ont plus la possibilité de défricher de nouvelles terres et certains n'ont aucune perspective d'héritage (Burnod et al., 2017)6. Ils doivent recourir au marché foncier mais les offres sont limitées, proposées en priorité au sein des réseaux familiaux et possibles sous réserve d'un capital rapidement disponible7. Sans capital suffisant, les ménages peinent à accéder au foncier comme à diversifier leurs systèmes d'activités. Dans les régions du Sud, la migration est une partie structurante des trajectoires de vie. Les jeunes utilisent souvent leurs compétences de charbonniers pour négocier et ouvrir un accès à la terre et visent pour cela les zones encore forestières (forêts sèches et mangroves du sudouest). Sur les Hautes Terres, les jeunes partent faute d'alternatives et nombre d'entre eux préfèrent le milieu rural au milieu urbain. Ils jugent en effet le secteur urbain plus difficile d'accès et plus concurrentiel ; ce qui ne peut être que confirmé par le nombre extrêmement limité d'entreprises et d'industries présentes dans les villes et la faible capacité de ces dernières à absorber les 400 000 nouveaux actifs entrant annuellement sur le marché du travail (Rural Struct, 2008). Les départs sont souvent présentés comme temporaires en vue de trouver un emploi et d'accumuler un petit capital d'investissement8. A l'échelle nationale, les régions de départ sont celles avec des densités de population supérieures à la moyenne nationale et, généralement, celles au sein desquels les superficies des exploitations agricoles sont les plus faibles (en gris foncé sur la carte 1) (OIM, 2013). Des bassins d'emplois qui se maintiennent mais des fronts pionniers qui peinent à se renouveler. Les migrations pour la recherche d'emploi se font en direction des grands bassins de production rizicole mais aussi, en fonction des réseaux sociaux des migrants, vers des destinations rurales variées. Parmi ces départs, certains deviennent définitifs et se matérialisent par un accès à la terre dans le territoire d'accueil. Les migrations pour l'accès à la terre visent les régions présentées comme riches en ressources foncières (en bleu sur la carte 1). Cependant, les territoires jouant réellement un rôle d'accueil massif se font rares. Tout d'abord, les fronts pionniers les plus connus du Moyen-Ouest9 (Raison, 1984) commencent à être saturés (Belières et al., à paraitre). Les migrations s'avèrent anciennes - les migrants de plus de deux générations s'y présentent parfois même comme natifs et y ont établi leurs tombeaux (voir carte 2). Ajouté à cela, les flux de migration, même s'ils se poursuivent, diminuent fortement en intensité (voir carte 3). Ensuite, les nouveaux fronts pionniers semblent très limités. Les terres agricoles potentielles, même si elles sont en deçà des 10 millions d'hectares estimés par les institutions internationales (FAO Stat, 2010), sont effectivement présentes mais situées dans des environnements isolés et dépourvus de services publics, au sein de territoires appropriés par des éleveurs et souvent contrôlées par des bandes organisées de voleurs de bétail. Rares sont les migrants qui souhaitent et peuvent entrer et valoriser seuls ces territoires. Des migrations qui ne permettent pas un rééquilibrage des territoires. L'évolution démographique des vingt dernières années – croissance naturelle et migrations spontanées – n'a pas modifié de façon significative l'inégale distribution de la population sur le territoire (OIM, 2014). Plusieurs projets ponctuels de l'Etat ou de structures associatives ont tenté depuis les années 1970 de débloquer l'accès au foncier dans ces zones isolées par le biais de migrations organisées. Cependant, l'accent mis sur le volet foncier a été fait au détriment d'une vision plus systémique des conditions de peuplement et d'installation d'une exploitation agricole. L'absence d'opportunité de diversification (salariat en particulier), de réseaux sociaux sources d'entraide, de protection contre les vols et attaques, et d'accès aux services publics minimaux (écoles, dispensaires) ont conduit la plupart de ces tentatives à l'échec. Des politiques d'accompagnement pour l'installation agricole et la diversification économique. Pour impulser des rééquilibrages territoriaux porteurs de développement, deux orientations semblent pertinentes. Une première, liée au constat qu'une partie des jeunes souhaitent rester dans leur territoire, est de promouvoir une intensification en travail des systèmes de production agricole (plusieurs cycles de cultures sur une même superficie), une meilleure rémunération des produits agricoles (plus de revenus par unité de surface), mais également un accès au foncier plus aisé (notamment par le déblocage de terrains gelés par des statuts légaux obsolètes). Cependant, l'approche ne peut être strictement agricole. Le développement des territoires, dans une perspective de décloisonnement des espaces ruraux et urbains, peut être porté par le renforcement conjoint : de la pluriactivité des ménages, des activités créatrices de valeur ajouté au niveau local – notamment sur les produits agricoles, et des besoins en services aux seins de pôle urbains de proximité (Losch, 2017). Une seconde orientation est, dans une logique de rééquilibrage, de désenclaver des territoires et d'améliorer leur environnement pour faciliter et accompagner l'installation de migrants (sécurité, services publics, connexion aux marchés des produits et des services, etc.). Cela suppose notamment que : (i) la sécurisation des pâturages (trop souvent considérés comme zone non appropriée et à cultiver) soit intégrée aux réflexions sur les politiques publiques à mener, (ii) l'accueil des investisseurs n'accapare pas le débat et le bénéfice des actions publiques au détriment des exploitations familiales (Burnod et Andriamanalina, 2017), et (iii) surtout l'approche sorte de schéma descendants d'installation agricole pour aller vers l'accompagnement de dynamiques migratoires existantes.
Auteurs et affiliations
- Burnod Perrine, CIRAD-ES-UMR TETIS (MDG)
- Rakotomalala Heriniaina, CIRAD-ES-UMR MOISA (FRA)
- Bélières Jean-François, CIRAD-ES-UMR ART-DEV (MDG) ORCID: 0000-0002-8399-9045
Source : Cirad-Agritrop (https://agritrop.cirad.fr/594848/)
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